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chambres et les commissariats, de les inspecter, de ne les point croire sur parole. Il lui enjoignait d’employer des espions. Chacun des conseillers doit avoir les siens, qu’il choisira parmi toutes sortes de personnes : fermiers, bourgeois et paysans. Il obtiendra ainsi de faux renseignemens, mais aussi de vrais et avec un bon jugement, il discernera le vrai du faux. Cet espionnage éclairera le directoire, même sur les minutissima. Le roi prenait la peine de donner un modèle de ces rapports secrets : « Par exemple, en Prusse, il y a eu un bon hiver et de fortes gelées. Les denrées arrivent dans les villes. Les bois de construction sont charriés. Le bâtiment va. Il y a apparence de bonne récolte. Le commerce, la navigation et les manufactures commencent à prospérer... Telle ville ou tel village a brûlé. La noblesse complote sous main contre tel impôt. Tel régiment achète son fourrage à l’étranger. La chambre des domaines versera exactement son terme, ou bien elle ne le versera pas. Elle a de bonnes raisons pour ce retard, ou bien elle n’en a pas. Il faut lui tailler des croupières. On a bâti vingt maisons dans la ville... » Frédéric-Guillaume n’en eût pas fini s’il avait voulu énumérer tous les objets de sa curiosité et de son inquiétude. L’ordonnance, ses notes marginales, ses lettres en sont remplies. Il avait la tête assiégée à tous momens de doutes sur les matières les plus diverses. Le directoire lui propose une augmentation sur tel ou tel revenu? Mais n’y aurait-il pas une perte égale ou supérieure sur tel ou tel autre revenu? Alors ce qu’on lui propose, ce n’est pas une amélioration, c’est du vent : keine Besserung, ergo Wind. Les chambres et les commissariats ne continuent-ils pas à se quereller au sujet de l’attribution à telle ou telle caisse de tel ou tel impôt? « Ils devraient bien trouver une autre façon de s’amuser; alors ces pauvres diables d’avocats et de juristes deviendraient inutiles, comme la cinquième roue d’un carrosse. » Les fermiers fument-ils bien leurs terres? Ils sont capables de les épuiser : il faut les empêcher de vendre leur paille. Certains officiers, par exemple dans la vénerie, sont des voleurs ; mais ils ne font, après tout, que ce qui leur est permis par leurs lettres d’office. Il faut donc changer ces lettres. N’y a-t-il pas trop d’officiers? Plusieurs emplois ne peuvent-ils être fondus en un seul? Voyons donc si un certain nombre d’employés ne peuvent être retranchés (retrangirt). Pourquoi la bière n’est-elle pas aussi bonne partout qu’à Potsdam? Pour avoir de la laine, il faut des moutons ; or, en Prusse, il y a presque autant de loups que de moutons : vite un règlement sur la chasse aux loups. Comment se fait-il que l’impôt sur le sel ait moins rapporté cette année que la précédente dans le pays de Halberstadt ? Le nombre des habitans n’y a pas diminué. Ils ont dû manger autant de sel que l’an dernier. Il y a donc des fraudes, du coulage?