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Il faut avertir le « facteur supérieur du sel d’administrer autrement qu’il n’a fait jusqu’ici. Peut-être aussi les sujets achètent-ils du sel en Hanovre, en Pologne. Il faut que tous les importateurs du sel soient pendus, etc. »

Admettons que, par impossible, tout le monde, sans exception, fasse son devoir, et qu’enfin tout aille pour le mieux dans le meilleur des royaumes. Les campagnes et les villes sont bien peuplées. Les premières fournissent au pays sa nourriture et la matière de son industrie. Les secondes ouvrent ces matières, de façon qu’aucune parcelle n’en soit perdue. La Prusse est nourrie, habillée, outillée, armée. Non-seulement, elle se suffit à elle-même, mais « elle produit un plus, ein Plus, » qu’elle vend à l’étranger. Le roi sera-t-il tranquille? Il ne peut l’être, car le moindre accident dérangera cette machine, dont tous les mouvemens sont calculés avec une rigueur mathématique. Par exemple, le budget des recettes et des dépenses est dressé pour chaque caisse provinciale. On prévoit que tel régiment consommera tant de vivres par tête d’homme et de bête, et que l’accise prélèvera telle somme sur cette consommation. Mais la guerre éclate, ou bien le régiment est appelé à Potsdam ou ailleurs pour manœuvrer ou pour faire un camp. La recette de l’accise baisse, le paysan ne vend plus ses vivres : « Quand mon armée sort du pays, l’accise ne rapporte plus que le tiers; le pretium rerum diminue; les domaines ne peuvent plus acquitter exactement les fermages. » Voilà donc un désordre. Et combien d’autres sont possibles! Il est bien difficile d’éviter que le feu ne prenne quelque part. Chaque année, des maisons, des villages, des villes même sont incendiés, il se fait de nouvelles « places vides. » Rien de plus douloureux. Encore peut-on remédier à ces maux divers, déplacer les régimens le moins possible, ordonner que toute ville aura sa pompe et ses pompiers, et que les toits de paille seront remplacés « avant cinq ans « par des toits de tuile. Mais que faire contre la mauvaise récolte, contre la peste des hommes et des animaux? Frédéric-Guillaume priait Dieu « dans sa grâce » de lui épargner ces fléaux, mais la grâce de Dieu est incertaine. Il fallait au roi de Prusse toute sa religion pour qu’il admit, sans blasphème, que Dieu lui enlevât des têtes d’hommes et de bêtes, dont chacune lui était précieuse, et comptait pour telle ou telle somme dans l’exactitude de ses calculs.

Soumis à la volonté divine, le roi entendait du moins que tous ses sujets obéissent à la sienne. « Nous donnerons notre grâce et notre protection, de toutes nos forces et contre quiconque, à tous ceux qui observeront de tous points cette ordonnance. Quant aux autres, qui retourneront à la vieille routine, nous les châtierons exemplairement, à la russe, exemplarisch und gut russisch. »