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donne à la douleur la plus vive sur les apparences d’un accommodement, » qui l’empêchera « de pêcher en eau trouble. » Quand il apprend la signature des préliminaires de Paris, il humilie, il mortifie l’ambassadeur impérial, lui disant que son maître « aurait bien pu s’empêcher de gasconner de la sorte et de consentir à tout, » et qu’il sera toute sa vie « Charles le Barbouillé. » Il a toujours l’air de vouloir partir en guerre : « Graissons nos bottes, écrit-il en 1729. Je suis persuadé qu’il n’y a d’autre fin à tout cela qu’une soupe aux coups de bâton. »

Pourtant, s’il voit la guerre s’approcher de lui, il est dans les transes. Au temps où il est l’allié de la France et de l’Angleterre, il craint que ces deux couronnes ne l’abandonnent « afin de faire retomber sur moi seul, dit-il, toute la haine de l’empereur et de l’empire, et de me faire périr moi et ma famille. » Allié de l’Autriche contre la France, il a peur d’être brûlé et pillé par les Français et les Suédois. Un moment, pour vider diverses querelles, il semble prêt à se jeter comme un furieux sur le Hanovre, mais il apprend que ce pays est un état formidable de défense. Alors il se trouble, il hésite, il enrage, et pour se calmer, « se grise » plusieurs jours durant avec les «officiers qui sont de ses débauches. » Comment l’Europe, enfin, n’aurait-elle pas cru qu’il n’aimait ses soldats que pour la parade? En 1734, quand il envoie ses troupes rejoindre sur le Rhin l’armée impériale, il prescrit qu’elles ne fassent que deux milles par jour, trois au plus ; qu’elles se reposent le quatrième jour; qu’elles ne soient jamais disloquées, jamais enfermées dans des forteresses, et qu’après chaque campagne elles prennent des quartiers d’hiver, de très bons quartiers de six mois[1].

Cependant, il serait absurde d’accuser Frédéric-Guillaume de lâcheté, car c’est bien lâcheté que l’on voulait dire, quand on écrivait timidité. Il aimait à rappeler qu’il avait fait ses preuves de bravoure, sous l’œil de Dieu, à Malplaquet « où il avait vu, à sa droite et à sa gauche, tomber des centaines de tués. » Il disait sa pensée vraie, quand il ajoutait qu’il « n’aimait au monde que la guerre » et que « les pieds lui grillaient de ne rien faire. » Quant à sa dissimulation et à sa duplicité, elles étaient enfantines, en comparaison de celles des cours d’Europe, de l’Autriche surtout.

L’explication de sa conduite est un curieux chapitre de psychologie politique.

Frédéric-Guillaume est à la fois électeur dans l’empire et roi en

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1726, 19 février; 1727, 15 et 19 avril, 3 et 10 juin ; 1730, 8 janvier; 1734, 12 juin.