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chrétienté contre l’islamisme, commencée aux croisades, continuée jusqu’à nos jours, durera encore pendant de longs siècles. La faire cesser est la difficulté suprême; qu’on en juge par ce qui s’est passé dans cette seule régence de Tunis, de 1270 jusqu’à 1830, jusqu’au moment où le pavillon tricolore flotta sur la casbah d’Alger.

C’est d’abord saint Louis s’imaginant qu’il convertirait le souverain musulman de Tunis, et, qu’en le convertissant, il délivrerait la chrétienté de l’un de ses plus ardens persécuteurs. Le fils de Blanche de Castille meurt de la peste en débarquant à Carthage, et nos malheureux compatriotes, qui rament déjà sur les galères des états barbaresques, n’en sont que plus maltraités. C’est ensuite Charles-Quint qui, avec une escadre de quatre cents voiles et 25,000 hommes, vient livrer bataille à Barberousse dans la plaine qui s’étend entre La Goulette et la capitale actuelle de la Tunisie. Pendant la mêlée, les esclaves chrétiens réussirent à briser leurs fers et à s’emparer de la citadelle, contribuant ainsi puissamment par leur présence sur les remparts et leurs cris de délivrance à la déroute des troupes du célèbre pirate. Moins heureux, Philippe II, en 1553, confie à don Juan de la Cerda, duc de Medina-Cœli, 14,000 soldats qui doivent attaquer les forbans dans Tripoli. Les Espagnols, surpris à l’ancre dans l’île de Djerba, perdirent une partie de leur flotte, et 5,000 d’entre eux restèrent dans les fers. En 1573, 20,000 hommes, sous les ordres de don Juan d’Autriche, le vainqueur de Lépante, revinrent à la charge, s’emparèrent de Tunis et délivrèrent une masse de captifs. Chose étrange, tous ces triomphes de l’Espagne sur les musulmans ne furent jamais que passagers; les Espagnols ne purent jamais résister longtemps aux forces turques qui, de Constantinople, venaient aider les troupes tunisiennes à chasser l’Européen. En 1605, c’est la France qui intervient. Le comte Savary de Brèves, ambassadeur à Constantinople, se présente seul devant Tunis, sans autre escorte que celle d’un émissaire du sultan. Il demande avec une grande assurance au bey l’exécution des clauses d’un traité passé entre son roi Henri IV et le grand-turc. Les clauses principales étaient la mise en liberté immédiate de tous les prisonniers français ; plus, des excuses en raison de divers outrages infligés à notre pavillon. M. de Brèves faillit être tué, dès les premiers jours de son débarquement, par les janissaires, alors très puissans dans la régence. Mais son sang-froid, son courage, eurent raison du fanatisme des Turcs, et l’ambassadeur obtint la mise en liberté des captifs de sa nation en échange d’un très petit nombre de mahométans détenus par représailles à Marseille.