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les Maltais. Là, était leur domicile; ils y avaient leurs comptoirs et leurs magasins; une émeute ou une révolution venait-elle à éclater dans la ville ou au palais, ils pouvaient s’y renfermer, y résister en cas d’attaque. Étaient-ils menacés par une épidémie, par la peste, comme en 1705, l’entrée en était alors interdite à toute personne venant du dehors. Les poules, les viandes, les fruits, les poissons étaient mis dans des baquets pleins d’eau pendant plusieurs heures, et nettoyés ensuite, avec le plus grand soin, avant d’être mangés. Quant aux bateaux des corsaires, ils mouillaient tout près de la Goulette, servant de prison au plus grand nombre des captifs ; ceux dont on craignait l’évasion ou dont on espérait une rançon étaient gardés dans les casemates d’une citadelle crénelée, la casbah.

Le ghetto et les fondouks ont disparu et les marais ont fait place à la longue avenue de la Marine. Sur l’emplacement des premiers ont été construits un bel hôtel et des cafés, des librairies aussi bien assorties que n’importe quelles librairies françaises, une poste et un télégraphe dont chacun se dispute la possession, le palais de la résidence, palais indigne du rang presque souverain que le représentant de la France tient en Tunisie, et puis enfin la cathédrale, la plus humble des églises chrétiennes, pauvre édifice d’un aspect choquant si l’on se rappelle l’artistique élégance des mosquées, si l’on suppute la valeur de l’or qui reluit dans les synagogues[1]. En dehors de la ville arabe, lui faisant face, mais à gauche de l’avenue de la Marine, on a percé un certain nombre de rues alignées comme des troupiers, et dont les maisons, bordées de trottoirs, construites à l’européenne, sont occupées par le haut commerce et les grandes administrations publiques. A droite, toujours en dehors des murailles que Charles-Quint fit élever, se trouvent des maisons neuves, bâties à l’italienne, et dont les murs aux couleurs claires égaient les yeux. Là, également, est le chemin de fer de Tunis à la Goulette, et, entre la gare de ce chemin à la ville grouille un faubourg très vivant, très populeux, où semblent vivre dans une cordiale entente des juifs, des Arabes, des Maltais et des Siciliens. Ce faubourg, comme celui qui est à gauche de la ville, est parcouru par des tramways sur les banquettes desquels on voit un zouave assis fraternellement près d’un Tunisien, un Israélite coude à coude avec un Arabe, des cultivateurs, des banquiers, des femmes jaunes et des femmes blanches, des noires aussi, les unes voilées comme la déesse Isis, d’autres les visages franchement découverts,

  1. Une cathédrale, dont les plans ont été fournis par le cardinal Lavigerie, est en voie de construction.