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par la force, une force brutale, la plus faible et la plus éphémère des puissances. Lorsque le colonel de Maussion signa avec l’émir Abdel-Kader le traité de La Tafna, il y eut au sujet de notre irréligion un colloque fort instructif, et qui fut recueilli par le docteur Warnier, présent à l’entrevue. Je le cite à l’appui de ce qui précède.

« Le colonel de Maussion. — Nous avons échangé de part et d’autre les prisonniers de guerre appartenant aux corps combattans. Je te réclame aujourd’hui les nègres et les négresses appartenant aux douars de nos auxiliaires et qui ne nous ont pas été remis.

« L’émir. — Les nègres sont des choses et non des personnes. C’est un butin de guerre comme les bateaux, les tentes, les armes, les vêtemens. Ils sont à celui qui les prend. De même que vous ne nous avez pas rendu les troupeaux capturés dans les razzias, de même je n’ai pas à vous rendre des nègres qui d’ailleurs ont pu être vendus et revendus cent fois depuis qu’ils ont été pris.

« Le colonel. — Tu m’opposes ta loi, mais je t’oppose notre religion qui ne nous permet pas d’assimiler un homme, parce qu’il est noir, à un animal.

« L’émir. — Mais est-ce que vous avez une religion? Est-ce que vous êtes chrétiens? Où sont vos marabouts? Où sont vos églises? Où et quand adressez-vous des prières à Dieu? Le Coran nous ordonne de considérer Sidna Aïssa, notre seigneur Jésus, comme un prophète, et l’Indji, l’Évangile, comme un livre révélé par Dieu ; les peuples qui suivent les préceptes de l’Évangile sont nos frères. Est-ce qu’en pays musulman nous ne respectons pas la religion des juifs? N’ont-ils pas partout des synagogues? Mais vous, vous êtes des infidèles sans religion, des koufar.

« Le colonel. — Tu t’es trompé sur les apparences. Est-ce que nous n’avons pas soigné tes blessés sur les champs de bataille?

« L’émir. — C’est une preuve de charité et non un témoignage de religion. Pourquoi n’y a-t-il pas de prêtres à vos consulats? Pourquoi le prêtre n’est-il pas au milieu de vous? Je me serais levé à son approche, je serais allé lui embrasser la tête en lui demandant sa bénédiction. »

Peut-on espérer que la haine et le dédain dont je parlais plus haut disparaissent et se modifient un jour? j’en doute beaucoup. Il faudrait, pour qu’une telle transformation se produisît, brûler le Coran, effacer de la mémoire des imans qui en enseignent et expliquent les textes, ces paroles indignes du grand réformateur qui fut Mahomet : « Lorsque vous rencontrerez des infidèles, eh bien! tuez-les au point d’en faire un grand carnage, et serrez fort les entraves des captifs (chap., XIII, verset 4). » Et ceci : « Si quelqu’un