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de veau, d’âne, de mulet et de chameau. Ils trouvent un tan excellent dans les écorces du pin d’Alep et du grenadier. Par une de ces anomalies que j’ai vues se reproduire sous bien des latitudes, les Tunisiens dédaignent leurs belles babouches jaunes ou rouges pour leur préférer les pantoufles européennes de pacotille. En Chine, ce n’est pas la porcelaine de ce pays que j’ai vue figurer sur les tables anglaises et françaises, mais bien la porcelaine de Limoges ou de Minton. Un autre groupe intéressant est celui des tisserands. On tisse partout en Tunisie, aussi bien dans la capitale de la régence que sous la tente du nomade et le gourbi en branchages de l’agriculteur. Eux aussi sont menacés par la concurrence que leur font les fabriques européennes de lainage. On vante les tapis de Kairouan et la solidité des burnous tunisiens, mais ceux-ci n’ont pas la souplesse des burnous tissés en Europe, pas plus que ceux-là n’ont la légèreté des dessins des tapis d’Orient. Nous avons éprouvé un véritable désenchantement, lorsqu’à Kairouan les Arabes ont déroulé devant nous leurs tapis si vantés. Il n’en fut pas de même des couvertures à fond blanc, bariolées de raies multicolores, d’une belle grandeur et d’un prix fabuleusement bon marché. Inutile, d’ailleurs, d’aller jusque dans ce pays perdu pour en trouver d’équivalentes.

Les tribus nomades sont peu nombreuses en Tunisie, et il est difficile de dire le chiffre des individus qui les composent. Leurs pérégrinations, du reste, ont quelque chose de la régularité des saisons; la chaleur du sud devient-elle, faute de nourriture, intolérable pour leur bétail, elles prennent la direction du nord, sauf à revenir au sud dès que la température le leur permet. Les tribus nomades trouvent-elles dans le voisinage d’une source, ou d’un puits, un terrain qui leur convienne, elles s’y installent, l’ensemencent d’orge ou de blé, puis y séjournent jusqu’au jour de la récolte. Comme il serait difficile d’en transporter les pailles, on coupe l’épi tout en haut de la tige; de cette façon, les troupeaux ou les caravanes y trouvent à leur passage un fourrage tout préparé. Lorsque des tribus nomades font paître leur troupeau dans les étendues sans culture où, dès le commencement d’avril jusqu’à la fin de mai, la terre est rayonnante de fleurs, ces pasteurs paient comme redevance aux propriétaires des prairies un mouton par cent moutons paissans.

Entre Tunis et l’Enfida, dans l’un de ces pâturages où l’œil cherche vainement l’ombre d’un arbuste, nous rencontrâmes le campement d’une tribu nomade. Les tentes, plus basses que celles des nomades d’Egypte, mais identiques quant à la forme et à l’installation, étaient vides de leurs habitans; des chiens au museau