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ne lui rapportèrent-ils jamais un sou. Pourtant, lorsque son traitement eut été porté à 650 francs, — il ne devait jamais atteindre 700, — il crut pouvoir se passer le luxe de se marier et d’avoir trois enfans. Ce fut alors la misère noire. Ses seules consolations, le cabaret et le tabac, le tuèrent à trente-huit ans.

Fort ignorant et ne possédant pas même à fond sa langue maternelle, ses écrits ne brillent ni par la correction ni par la perfection de la forme. Ses premiers contes en vers (Eigenaardige verhalen) ne sont guère que des histoires d’almanach, racontées dans un style tour à tour trivial et ampoulé. Ses Ballades, dans lesquelles il s’inspire surtout de Schiller et de Burger, sont meilleures, sans valoir leurs modèles. Le sentiment en est moins délicat et le fantastique souvent puéril.

Revenu de l’enthousiasme qui l’avait poussé, en 1830, dans les rangs des volontaires de l’indépendance, il avait vu avec regret, avec colère, les Wallons exercer une influence prépondérante sur les affaires du pays, et la culture française gagner chaque jour du terrain. Comme Willems, comme Ledeganck, il arbora le drapeau flamand à une époque où il fallait pour cela du courage et surtout du désintéressement, car ce drapeau ne conduisait pas encore aux places et aux honneurs.

Dès lors il y eut pour lui, dans l’histoire nationale, deux grandes dates : l’une lumineuse, triomphante et bénie : 1815, Waterloo, l’établissement du royaume des Pays-Bas; l’autre noire, honteuse, maudite : 1830, la fondation de l’indépendance belge, la revanche des Latins.

Dans un petit poème consacré à la mémoire du général Van Merlen, tombé à Waterloo dans les rangs de l’armée néerlandaise, il s’écrie avec une exagération presque risible :

« L’étranger est monté sur le trône, le Flamand lui sert de marchepied, à moins que, reniant sa langue et son origine, il ne fasse alliance avec l’enfer. »

Il alla plus loin encore; et, en 1844, il entonna un dithyrambe enthousiaste en l’honneur du général Chassé qui commandait, en 1831, la citadelle d’Anvers, dernier rempart de la domination hollandaise en Belgique, donnant ainsi le spectacle au moins étrange d’un poète chantant le soldat qui avait bombardé sa ville natale.

Dans ces morceaux, où le poète se guindé au ton de l’ode, il n’est pas encore lui-même. C’est surtout dans ses Refrains politiques (1844) et ses Chansons populaires (1846), qu’il a exhalé ses haines et ses aspirations sous une forme originale et pittoresque. Il est difficile de traduire ces compositions sans leur faire perdre la forte saveur de terroir qui fait leur principal mérite. Cette saveur,