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compromettant sa réputation par d’indignes calomnies, parce qu’elle a remarqué les assiduités du blond Frans, le fils du riche tonnelier d’en face, beau parti dont elle voudrait bien pour sa fille à elle. Begga, abandonnée par son trop crédule amoureux, sans ressources, sans ouvrage, exposée aux propositions et aux tentatives honteuses d’un jeune débauché, languit dans une petite chambre, dont elle va être expulsée faute de pouvoir payer le loyer.

« Le soir tombe sur la ville et l’enveloppe comme un linceul ; on frissonne tandis que tombe une pluie fine et glacée. Pas un souffle de vent, et si dans les rues, le gaz ne trouait le brouillard d’une flamme faible et vacillante, si par intervalles les bruits de la ville ne grandissaient pour mourir ensuite, vous diriez que sous le drap mortuaire tout s’est endormi du sommeil éternel.

« Mais tout à coup, comme une voix des insondables abîmes de là-haut, une cloche se met à sonner. Une seconde s’éveille, puis une troisième; et soudain, du haut de tous les clochers, se déchaîne comme un orage, une plainte navrante, une lamentation qui tinte, bourdonne, gronde dans l’ombre frémissante.

« L’octave des morts commence ; c’est aujourd’hui le 2 novembre, jour solennel où la légion des fidèles donne une pieuse pensée à ceux qui se sont embarqués pour la vie éternelle.

« Voyez ! de toutes les rues voisines, la foule envahit la place plantée de grands arbres, qui s’étend au pied de la cathédrale, pour s’engloutir et disparaître comme un flot de fantômes muets, sous le portail béant. »

Begga, elle aussi, va prier et pleurer au pied de l’autel. L’office terminé, elle suit machinalement le viatique qu’on porte à des malades. C’est à la porte de la maison d’où elle a été chassée, que s’arrête le prêtre avec son cortège de flambeaux. Begga s’informe. Le choléra qui décime la population s’est abattu sur cette demeure, sa sœur Colette est à l’agonie, et le petit frère vient d’éprouver les premières atteintes du mal. Alors elle oublie tout, gravit les trois étages et serre sur son cœur le petit malade, qui lui jette les bras au cou. Mais la veuve s’arrache au chevet de la mourante et veut expulser la jeune fille, pour qui sa haine s’est accrue de tout le mal qu’elle lui a fait elle-même. Le prêtre intervient, et Begga reste pour soigner Colette, qui ne tarde pas à expirer, l’enfant, qui guérit, puis la marâtre elle-même, atteinte à son tour, qui, prise de remords, fait appeler le tonnelier et lui avoue qu’elle a calomnié Begga. Naturellement tout finit par un mariage.

Comme Goethe l’a fait pour Hermann et Dorothée, comme Voss pour Louise, Van Beers a écrit Begga en hexamètres. Ce grand vers héroïque d’Homère et de Virgile nous a toujours paru bien