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la confusion, les radicaux ne trouveraient rien de mieux, si on les laissait faire, que d’en revenir à des agitations nouvelles, à tout ce qui a préparé une crise où la France a failli un instant perdre la paix intérieure qu’elle désire et la considération dont elle a toujours besoin devant l’étranger.

C’est entendu, depuis longtemps, en Europe, on ne multiplie les armemens, on ne se livre tous les ans à de savantes manœuvres, à toutes les expériences de la guerre, que pour mieux protéger la paix. Aussi la paix est-elle plus que jamais bien gardée!

On dirait qu’il y a une sorte d’émulation jalouse entre les nations militaires, également empressées par cette saison à exercer leurs soldats, à montrer les progrès de leurs armées, à s’offrir mutuellement le spectacle de leurs forces qui se compteraient, si on le voulait, par millions d’hommes. Heureusement, jusqu’ici, tout finit par une revue ou un beau défilé, par un ordre du jour ou un banquet accompagné de toasts familiers aux chefs militaires comme aux souverains. Puis la diplomatie reprend son œuvre énigmatique, et ceux qui passent leur temps à chercher les secrets des choses se remettent à disserter sur la durée de cette paix si bien protégée, sur ce qui se passe en Bulgarie, sur les résultats des visites et des entrevues toujours nouvelles de l’empereur Guillaume. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que pour l’instant il y a moins de faits réels que de commentaires et qu’après s’être épuisé à scruter l’entrevue germano-russe de Narva, on est réduit à s’exercer sur l’entrevue germano-autrichienne du château de Rohnstock, en Silésie. C’est là, en effet, que s’est passée la plus récente entrevue de souverains qui se sont rencontrés, l’empereur d’Allemagne et l’empereur d’Autriche, accompagnés l’un et l’autre, d’ailleurs, de leurs chanceliers, M. de Caprivi et M. de Kalnoky. L’empereur Guillaume, qui était allé présider aux manœuvres de ses corps d’armée de Silésie, s’est fait un devoir de montrer ses régimens à l’empereur d’Autriche. François-Joseph s’est hâté de répondre qu’on devait être fier d’avoir pour allié un prince qui commandait à de tels soldats. Entre deux manœuvres, les deux souverains ont conféré sans doute, et les deux chanceliers ont dû aussi échanger leurs vues sur les affaires de l’Europe, de la triple alliance. Que s’est-il passé de plus? que pouvait-il se passer? Le plus vraisemblable est que, tout échange fait de complimens et de décorations, il n’y a pas plus de secrets à Rohnstock qu’à Narva ou à Péterhof. Il y a une entrevue de plus, il n’y a aucun changement, parce que dans l’état présent de l’Europe tout ce qui ferait un changement sérieux conduirait à la grande crise, et que cette crise, justement redoutée, on ne la veut pas, on n’est d’accord que pour l’ajourner.

Quel que soit le calme du jour, réel, ou apparent, ou relatif, dans les affaires de diplomatie comme dans les affaires intérieures de la plupart