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des pays, rien sans doute n’est interrompu. Ce qui divise ou trouble les nations ne cesse pas d’exister. Les passions, les instincts d’agitation ne désarment pas pour longtemps et au moment où l’on s’y attend le moins, survient un incident, révolution ou insurrection, comme ce qui est arrivé récemment dans un coin de la Suisse. C’est bien en effet une vraie tentative de révolution qui a éclaté l’autre jour, le 11 septembre, à Bellinzona, dans le canton du Tessin, épisode nouveau de la vieille lutte des partis, des conservateurs et des radicaux acharnés à se disputer le pouvoir. Le canton du Tessin, on le sait, a une place particulière, et pour ainsi dire son originalité dans la confédération helvétique. C’est la région de la Suisse tournée vers l’Italie, privilégiée du soleil, à demi italienne par le climat, par les mœurs comme par la langue, quoique toujours fortement attachée par les traditions à la république des Alpes. Autrefois, suivant un vieil usage, le gouvernement du canton du Tessin résidait tour à tour dans ces petites villes de Bellinzona, de Lugano et de Locarno qui ont plus de couleur pittoresque que d’importance. Aujourd’hui, comme la confédération elle-même qui s’est définitivement fixée à Berne, le Tessin s’est fait une capitale unique: il a choisi la jolie ville de Bellinzona; — et c’est là qu’a été accompli l’autre jour le coup de main révolutionnaire, préparé par les radicaux contre les conservateurs qui ont le gouvernement du canton. Les radicaux ont fait à Bellinzona ce qu’ils font partout et toujours : le pouvoir qu’ils n’ont pu conquérir ou qu’ils ont perdu par le scrutin, ils ont essayé de le ressaisir par la force, par un audacieux attentat contre la légalité. A dire vrai, ce mouvement du 11 septembre, qui a eu toutes les allures d’un complot assez habilement mené et qui a eu pour un instant une apparence de succès, n’a été peut-être qu’à demi imprévu : il tient à toute une situation qui devait un jour ou l’autre avoir sa crise.

Ce n’est point d’aujourd’hui, en effet, que les passions sont surexcitées dans le Tessin. La paix des partis ne s’est jamais rétablie depuis les élections qui se sont accomplies l’an dernier au milieu des scènes les plus violentes et qui, en donnant la victoire aux conservateurs, ont laissé à leurs adversaires d’implacables ressentimens. Depuis qu’ils ont été battus au scrutin, les radicaux n’ont pas cessé de vivre dans l’exaspération, de s’agiter et d’agiter le pays. Ils ont eu recours à tous les prétextes, à tous les moyens. Ils ont naturellement protesté contre les élections, et ils sont même allés jusqu’à provoquer l’intervention des pouvoirs fédéraux dans les affaires du canton. Ils ont saisi avec une âpreté vindicative l’occasion d’un fait malheureux, des détournemens commis par le caissier cantonal du Tessin, pour se livrer aux attaques les plus injurieuses, contre les conservateurs maîtres du pouvoir, contre le conseil d’État. Ils ont fini par se tourner contre le système électoral qui avait assuré leur défaite, par prendre pour mot d’ordre