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la révision constitutionnelle, l’appel au peuple, le referendum, et comme il faut quelques milliers de signatures pour décider le recours légal au referendum, ils ont organisé un vaste pétitionnement. Bref, ils ont poursuivi à outrance, avec une exubérance toute méridionale, cette campagne bruyante, tumultueuse, mettant leur dernier espoir dans la révision constitutionnelle. Les conservateurs ont tenu ferme sans se laisser émouvoir. Ils n’ont pas refusé l’appel au peuple, s’il était légalement réclamé; ils ont seulement ajourné le referendum pour prendre le temps de vérifier toutes ces pétitions appuyées de signatures dont beaucoup étaient, dit-on, fictives ou peu sérieuses. C’est ce que les radicaux, conduits par un jeune avocat, M. Brune, un banquier millionnaire, M. Lepori, M. Battaglini, M. Simmen, ont appelé une violation de la constitution. Ils se sont mis aussitôt en devoir d’agir et ils ont donné sans plus de façons le signal de l’insurrection.

Fait comme dit, à l’heure fixée, le 11 septembre, ils ont marché en armes sur l’arsenal, sur le palais du gouvernement, dont ils ont réussi à s’emparer. Ils ont mis en arrestation les principaux membres du gouvernement, M. Relpini, M. Gianello, M. Castella. Dans la bagarre, le directeur de l’intérieur, un homme des plus distingués qui n’inspirait que des sympathies, M. Bossi, a été la malheureuse victime d’un meurtrier obscur. Le grand conseil, le conseil d’État, ont été déclarés déchus par l’autorité du peuple! D’un tour de main les radicaux de Bellinzona, maîtres de la position, se sont constitués en gouvernement provisoire, et comme ils avaient donné le mot d’ordre partout à leurs amis, comme l’heure était même fixée d’avance, ce mouvement qu’on a vu éclater presque en même temps à Lugano, à Mendrisio, à Chiasso, a pris un semblant de rapidité et de spontanéité : un instant il a paru avoir réussi! Les conservateurs, cependant, revenus d’une première surprise, n’ont pas tardé à se reconnaître, à se réorganiser, et ils ont commencé par protester contre l’audacieux coup de main qui les dépossédait. Ils ont fait appel aux autorités régulières, à leurs partisans, résolus à opposer les forces légales à l’insurrection. De part et d’autre on a recruté des contingens, on s’est préparé au combat, on se disputait déjà les positions. Encore quelques heures, la guerre civile éclatait peut-être dans le canton, lorsque le gouvernement fédéral s’est décidé à intervenir en envoyant un commissaire extraordinaire, le colonel divisionnaire Künzli avec deux bataillons, pour arrêter d’abord tout au moins les partis prêts à en venir aux mains, pour rétablir ensuite autant que possible l’ordre si profondément troublé dans le Tessin.

Au premier aspect, c’est bien là, à ce qu’il semble, la mission confiée au commissaire fédéral envoyé de Berne à Bellinzona avec des pouvoirs extraordinaires pour faire face à toutes les circonstances. Le premier acte du colonel Künzli, dès son arrivée, a été de congédier sommairement le comité d’insurgés qui s’était installé au palais de Bellinzona