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et de rendre la liberté aux prisonniers de l’émeute, à ceux qui, la veille encore après tout, représentaient l’autorité régulière. D’un autre côté, cependant, il n’est point allé jusqu’à rétablir le gouvernement légal, l’ordre régulier. Il semble s’être étudié, comme ses instructions lui en faisaient sans doute un devoir, à prolonger une sorte de provisoire, gardant pour lui, ou plutôt pour l’autorité fédérale qu’il représente, l’administration supérieure des affaires du canton, le rôle de médiateur ou d’arbitre entre des partis mal apaisés. C’est là justement que commence la difficulté ; c’est le problème de chercher à concilier des passions si vives, des causes si contraires, les conservateurs, qui, armés d’un droit évident, prétendent rentrer tout simplement en possession du gouvernement, et les radicaux qui ne représentent que la sédition et l’anarchie. Jusqu’ici le gouvernement de Berne a évité les résolutions décisives. Il a ordonné des enquêtes sur l’émeute du 11 septembre, sur le meurtre du malheureux Rossi. Il n’a probablement voulu rien brusquer avant le référendum, qu’il a fixé au 5 octobre et qui a un peu l’air d’une concession faite pour désarmer les radicaux. Provisoirement il s’occupe de maintenir avant tout l’ordre à Bellinzona, et il vient d’augmenter les forces militaires qu’il avait d’abord envoyées dans le Tessin. En même temps, il fait de la diplomatie, il écoute les représentans des partis; il ne désespère pas de découvrir, d’accord avec l’assemblée fédérale qui vient de se réunir, quelque transaction qui puisse permettre de sortir de cette crise toujours assez grave.

On réussira peut-être pour le moment, c’est fort à désirer. Rien dans tous les cas ne peut changer la nature et la signification de cet incident qui vient de se produire, qui n’est qu’une preuve de plus de ce qu’il y a d’incurable anarchie dans le radicalisme. Ainsi, voilà, dans un des pays les plus libres du monde, un parti qui dispose de tous les droits, de toutes les libertés, de tous les moyens de propagande, et qui un jour, sans scrupule, sans respect pour la loi, pour le peuple qu’il invoque toujours, donne l’assaut aux pouvoirs réguliers, au risque de déchaîner de sanglans conflits ! Les radicaux du Tessin auraient sûrement provoqué la guerre civile si le gouvernement fédéral ne s’était pas trouvé là comme modérateur; et si, après avoir détourné la guerre civile, les pouvoirs fédéraux ne sont pas assez habiles ou assez fermes pour en finir avec des incidens comme celui du 11 septembre, il pourrait peut-être en résulter des difficultés assez graves pour la Suisse tout entière.

Des agitations, ce n’est point sans doute un fait nouveau ni particulier à la Suisse. Il y en a eu plus d’une fois dans bien d’autres pays, surtout dans les pays du midi qui ont connu toutes les variétés de crises et d’insurrections. L’Espagne a eu les siennes, elle en aura probablement encore. Elle semble se reposer aujourd’hui dans un calme assez complet ; elle est dans une de ces phases où les incidens n’arrivent pas à être des événemens. Tout ce qu’il y a d’ailleurs de monde