Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/721

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Canovas del Castillo est tout simplement un homme à l’intelligence libre et ouverte, qui ne s’attarde pas à la vieille politique de parti, qui ne craint pas d’aller en avant, et c’est avec cet esprit qu’il se dispose à aborder les élections. Qu’en sera-t-il, maintenant, de ces élections? Elles seront, à n’en pas douter, une épreuve des plus curieuses pour l’Espagne. Elles auront cela de particulièrement sérieux qu’elles s’appliqueront à tout, que le suffrage universel aura à nommer à quelques jours d’intervalle, non-seulement le nouveau congrès, mais les assemblées provinciales, les conseils municipaux.

Tous les partis commencent à s’y préparer, même dans le calme apparent des vacances : tous ont les yeux tournés vers ce sphinx du suffrage universel. Que les républicains espèrent en profiter et se flattent de trouver dans le suffrage populaire une arme contre la monarchie, ce n’est pas douteux; que des libéraux, allant presque jusqu’au radicalisme, sans être précisément antidynastiques, se disposent à réclamer une réforme politique très hasardeuse, un retour à la constitution anarchique de 1869, c’est encore possible. Ces opinions extrêmes ne semblent pas, pour le moment, appelées à un grand succès. Les libéraux conservateurs qui sont au pouvoir, qui sont chargés de présider aux élections, se préoccupent avant tout, à ce qu’il semble, de montrer au pays que la monarchie constitutionnelle et libérale peut seule lui donner les réformes, les libertés qu’on lui promet. C’est le meilleur programme électoral dans cette expérience nouvelle qui se prépare au-delà des Pyrénées.

Si les jours d’agitation doivent revenir avec les élections, ils ne sont pas encore revenus pour l’Espagne. Le Portugal est moins heureux, et ici, à la vérité, l’agitation tient moins à des causes intérieures qu’aux plus vives susceptibilités nationales. Elle n’a pas cessé depuis qu’un ultimatum anglais, signifié sans ménagement, a mis, il y a près d’un an, le Portugal dans l’alternative de se soumettre ou de braver tous les périls d’une résistance inégale, pour la défense de ses droits ou de ses prétentions en Afrique. Ce malheureux ultimatum n’a cessé de peser sur la nation portugaise, d’émouvoir l’opinion, d’être une arme pour les partis contre le gouvernement, contre la monarchie elle-même. Le premier effet de l’acte de brutalité anglaise était, on le sait, de provoquer la chute du ministère progressiste, qui n’avait pas su prévoir ou détourner le coup, et la formation d’un ministère de libéralisme modéré présidé par M. Serpa-Pimentel, qui arrivait au pouvoir pour pallier l’injure ou pour adoucir la blessure par des négociations. L’œuvre était aussi ingrate qu’épineuse, et le ministère de M. Serpa-Pimentel ne pouvait l’accomplir qu’en faisant des élections pour assurer au moins à sa diplomatie l’appui d’une majorité. Il a négocié en effet à Londres, à Lisbonne et même à Dieppe, où lord Salisbury était récemment encore. Il a négocié au sujet de ces territoires de l’intérieur de