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n’est-il pas une merveille? Le vocabulaire de tout idéal ne saurait être qu’un jargon, si l’on appelle ainsi un composé de termes sans exactes définitions. Le couple de mots ligne droite aux yeux de Pascal, en devrait être un, comme aussi celui d’Homme-Dieu. Mais il sent ce que c’est que la rectitude d’une ligne, il sent ce que signifie la divinité d’un rédempteur; le jargon devient pour lui le langage du cœur, il devient le Verbe!

Ne nous attardons pas à chercher dans l’écrivain, dans le grand artiste en langage, la tendance esthétique de Pascal vers le divin. Ce serait puéril. L’admiration qu’éveille chez ses lecteurs la beauté de son style, il ne l’éprouvait que très secondairement et en faisant violence à son humilité chrétienne. Il était touché de ce qu’il voulait dire plus que du signe verbal qu’il y attachait. Il savait gré, sans doute, à ce signe d’exprimer exactement sa pensée, mais la pensée seule le passionnait. Bien loin qu’il fût porté vers le divin par la conscience du beau littéraire, le chrétien, si éloquent dans les épreuves de la maladie, oubliait la forme de son oraison pour son oraison même et pour le Dieu qui l’entendait.

Le champ de l’esthétique est vaste; il faut chercher autre part, ailleurs que dans son génie littéraire, ailleurs surtout que dans le goût des arts révélateurs du beau par les formes sensibles, les indices de son penchant vers le divin : ce n’est point à un Michel-Ange ni à un Beethoven que nous avons affaire. Il s’agit d’un géomètre physicien, doublé d’un philosophe essentiellement moraliste; s’il n’eût rencontré, en venant au monde, aucune religion instituée, le sentiment de la dignité eût été spontanément religieux en lui. Il proclame et salue la beauté morale de l’essence humaine : « l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser. Une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever, et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. » Paroles mémorables qui lui vaudraient, à elles seules, la gratitude du genre humain. Il ajoute : «... Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends. »

Mais son cœur frissonne aussitôt de cette téméraire étreinte de l’étendue sans bornes par sa pensée. L’infinité de l’espace le met en communication avec l’Infini divin, celui dont le mutisme ne peut