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prolongèrent avec un caractère si souvent atroce! Il n’est nullement nécessaire de le croire le complice du massacre et dévoré de remords, pour admettre que la pensée de ces événemens malheureux ait suffi pour le jeter dans une abstention qui ne devait plus se démentir. Quel dessein plus raisonnable pouvait-il former que de vivre désormais, livré aux occupations qui étaient celles d’un propriétaire châtelain, dans une cordiale union avec cette population à laquelle il tenait par toutes les relations que créent le voisinage et les intérêts agricoles ? Quelles que fussent ses préférences religieuses, il ne devait plus y avoir autour de lui ni protestans ni catholiques, mais des compatriotes et des amis. Cette pacification que la France attendra si longtemps encore, il devait, au milieu de ces rechutes de guerre civile dont il parle, la faire dans ce petit royaume de quelques lieues où il régnait par l’autorité morale et la supériorité de l’esprit. Ne se complaît-il pas dans son livre à mettre au rang des devoirs et des plaisirs du chef de famille les marques d’affection données à ses voisins, « les caressant de toute sorte d’amitié et bons offices, leur faisant bonne chère, de visage, de courtoisie, de vivres, avec toute libéralité ? » N’est-ce pas dans le même sentiment de cordialité et d’équité qu’il étend la protection du propriétaire de domaine sur a ses sujets, les chérissant comme ses enfans, pour, en leur besoin, les soulager de ses crédits et faveurs ; même en cas de nécessité, du passage des gens de guerre et autres occurrences, les gardant de foules et surcharges, d’exactions indeues et semblables violences ! » Ces devoirs, on verra à des marques certaines qu’il les remplit et qu’il en recueillit le fruit dans des sentimens d’affection qui prouvent que l’oubli du passé était réciproque.


III.

La prise de Villeneuve-de-Berg est assurément un moindre événement que la prise de Troie, mais ce qui s’y passa n’est pas au-dessous des horribles scènes du saccagement de la ville de Priam. Les fureurs d’une soldatesque emportée expliquent ces excès. Je comprendrais qu’un chef de troupe endurci à ce genre de guerre, ayant peu de scrupules sans doute, et personnellement dominé par sa violence, enivré par la lutte, pût s’écrier comme Pyrrhus :


Tout était juste alors; la vieillesse et l’enfance
En vain sur leur faiblesse appuyaient leur défense.
La victoire et la nuit, plus cruelles que nous,
Nous excitaient au meurtre et confondaient nos coups.