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ceux qui déclarent la théorie inutile. Il montre le mal que produit l’incurie, et tel autre vice, par exemple l’intempérance, disant ingénieusement, à propos de la vigne, qu’elle produit trois grappes, « la première de plaisir, la seconde d’ivrognerie, la troisième de tristesse et de pleurs. »

Ce grand et large esprit de sagesse, où s’est comme noyé et perdu tout ce qui aurait pu rappeler le sectaire militant de 1573, devait vivement attirer Henri IV, qui trouvait dans ce même ouvrage les maximes d’état les plus appropriées au moment. Je ne diminue pas par là l’importance de la Cueillette de la soie, détachée d’abord de l’ouvrage, et qui fut comme le signal d’une culture et d’une industrie destinées à répandre des milliards sur la France ; par là le roi n’eut pas à se repentir du concours si efficace qu’il avait demandé à Olivier de Serres pour cette entreprise, à laquelle il attachait un prix immense, en prince préoccupé de la richesse et des sources à ouvrir au travail. Je ne diminue pas non plus la valeur spéciale de l’agronome ; tous les juges compétens reconnaissent qu’elle est de premier ordre, et que l’auteur du Théâtre d’agriculture a su tout ce qu’on pouvait savoir de son temps, en y ajoutant beaucoup par son expérience personnelle; il en a donné une formule claire, précise, élégante, en grande partie durable, dans un style qui serait la perfection du naturel sans quelques ornemens mythologiques, de même que sa pensée serait tout bon sens et lumière, sans quelques superstitions de l’époque. Cet ouvrage est une véritable encyclopédie. A côté des préceptes de culture on y trouve l’art de l’ingénieur, la construction des jardins, l’hygiène et la médecine des animaux et des cultivateurs, l’architecture rurale, à laquelle il se proposait de consacrer un traité plus complet. Il ne fait, au reste, par cette universalité, que remplir le titre de son ouvrage, « dans lequel, dit-il, est représenté tout ce qui est requis et nécessaire pour bien dresser, gouverner, enrichir et embellir » le mesnage des champs. Organe de tous les usages et traditions utiles, son esprit observateur le portait à rechercher des nouveautés qui ouvraient certaines perspectives à des inventions futures, telles que la transformation de la fibre des arbres en textile ; il déclarait que de la seconde écorce ou du liber du mûrier blanc on pouvait tirer une filasse propre à remplacer le chanvre et le fin et publiait à part le morceau intitulé : « La seconde richesse du meurier blanc qui se trouve en son escorce, pour en faire des toiles de toutes sortes, non moins utile que la soie provenant de la feuille d’icelui. »

Mais si l’on trouve dans l’utilité pratique du livre de suffisans motifs pour que Henri IV encourageât l’œuvre et l’auteur comme il