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Leete. L’organisation nationale du travail, sous une direction unique, était la parfaite solution d’un problème que de votre temps on considérait comme inextricable. La nation étant devenue le seul patron, pour ainsi dire, tous les citoyens se sont trouvés être des ouvriers auxquels le travail était distribué selon les besoins de l’industrie.

— C’est-à-dire que vous avez appliqué le principe du service militaire universel à la question du travail.

— En effet, et, cette loi étant posée déjà que tout citoyen valide devait, sans exception, se soumettre à un service pour la défense du pays, il a paru tout simple de consacrer ledit service, devenu soit industriel, soit intellectuel, au bien-être de la nation. L’ordre social tout entier repose sur cette obligation, à laquelle nul ne se dérobe, puisqu’il resterait, faute de la remplir, sans aucuns moyens d’existence, retranché du monde, bref, dans la situation d’un suicidé.

— Et chaque soldat de cette nouvelle armée est-il enrôlé pour la vie?

— Oh ! non, la période du travail commence plus tard et finit plus tôt qu’autrefois. Nous tenons à ce que le temps de la jeunesse soit consacré à l’éducation et celui de la maturité à d’intelligens loisirs. La période du service industriel pour chacun commence à vingt et un et se termine à quarante-cinq ans. Après cet âge, les services du citoyen, durant dix années encore, peuvent être requis dans des cas qui ne se présentent presque jamais. Le 15 octobre de chaque année revient ce que nous appelons le jour de l’appel, parce que ceux qui ont atteint vingt et un ans sont alors appelés à entrer dans l’armée industrielle, tandis que les hommes de quarante-cinq ans sont appelés à en sortir. C’est l’événement qui sert, à compter tous les autres, une date comme l’olympiade grecque, sauf qu’elle est annuelle.

L’appel fait, il semble que les difficultés commencent, car l’analogie avec l’armée s’arrête là nécessairement; l’exercice militaire est si peu de chose auprès des métiers de toute sorte qu’il s’agit d’enseigner à ces soldats d’un nouveau genre !

Telle est, du moins, l’objection de Julian. Mais le docteur, s’inspirant de la fameuse théorie de l’industrie passionnelle, comme tout à l’heure il s’inspirait des principes de Babeuf, répond que chacun reste parfaitement libre de suivre un attrait particulier. Tout ce qu’on lui demande, c’est de tirer parti de ses goûts naturels de la façon la plus avantageuse au pays et à lui-même.

Jusqu’à vingt et un ans, le jeune homme n’a reçu qu’une culture intellectuelle, mais on lui a donné la connaissance théorique de