Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/953

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de plus qu’à cette condition qu’on peut retrouver, avec des sessions bien employées, une politique digne de la France.

On en a tant vu passer de voyages impériaux, de visites à Péterhof ou à Berlin, de colloques princiers, de réceptions, de banquets, accompagnés de discours, de spectacles de tout genre en Europe, qu’on finit par s’y accoutumer. — « Un roi ! Sous l’empereur j’en ai tant vu de rois ! » disait la bonne vieille passant au Carrousel un soir de gala. La vieille Europe dit un peu de même. On en vient à croire que les souverains peuvent se visiter, passer des revues ou chasser ensemble, que les chanceliers peuvent se rencontrer, se confier leurs idées, sans qu’il y ait rien de changé dans le monde, dans les affaires générales du vieux continent. Et c’est fort heureux, puisque avec les chemins de fer, les mœurs, même les mœurs des princes ont si singulièrement changé, puisque les souverains du jour se laissent aller si volontiers à leur humeur voyageuse. Après la visite du jeune empereur d’Allemagne au camp russe, à Narva, il y a eu la réception de l’empereur François-Joseph au château de Rohnstock, dans la Silésie devenue prussienne. Après l’excursion de l’empereur François-Joseph à Rohnstock, il y a eu, plus récemment, le passage de l’empereur Guillaume à Vienne, qui s’était montrée un peu froide à un précédent voyage et qui s’est mise cette fois en fête pour recevoir son hôte. Puis il y a eu les chasses des deux empereurs en Styrie. Pendant ce temps, le nouveau chancelier allemand, M. de Caprivi, qui a vu M. de Giers au dernier voyage en Russie et s’est rencontré avec M. de Kalnoky à Rohnstock, fait ses visites aux petites cours d’Allemagne, à Stuttgart, à Bade, à Munich. Il tient à s’accréditer lui-même et s’accrédite, dit-on, fort bien. Il pourra bien y avoir d’autres entrevues de ministres ou de souverains, c’est possible, — et, tout bien compté, au bout de ces voyages, de ces visites, de ces conférences au pas de course, on ne voit pas qu’il en soit ni plus ni moins. Le fait est, au contraire, que jamais il n’y a eu sous un mouvement apparent moins d’agitation réelle, que tout reste provisoirement assez stagnant dans l’état de l’Europe, dans les relations générales, qu’on semble plutôt avoir assez à faire de maintenir ce qui existe, même cette triple alliance à laquelle on se rattache, sans chercher des combinaisons nouvelles ou de nouvelles aventures.

Ce que durera, ce que vaut et ce que vaudra cette triple alliance, nul certainement ne le sait. On s’efforce de la prolonger, d’en dissimuler les incohérences, de pallier ou d’atténuer tout ce qui peut la troubler, c’est évident. Les efforts mêmes qu’on multiplie pour la raffermir et l’étayer, pour s’inspirer mutuellement confiance entre alliés, sont la meilleure preuve de ce qu’il y a toujours eu, de ce qu’il y a plus que jamais d’artificiel dans cette œuvre d’une diplomatie captieuse. On essaie encore de s’abuser, et le dernier discours que M. Crispi vient de prononcer à Florence n’est certes pas le signe le moins curieux de la crise