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enfin à former son ministère, comme on le dit aujourd’hui, la situation du Portugal ne resterait pas moins des plus difficiles.

Tandis que la diplomatie de lord Salisbury poursuit à tout risque l’œuvre qui paraît lui tenir le plus à cœur depuis quelques mois, le partage méthodique du pays du mystère, du continent africain, on aurait pu croire qu’il y avait une sorte de trêve de politique intérieure en Angleterre. La vie britannique semblait, elle aussi, se ressentir de l’influence calmante de l’automne. Ce n’est pas qu’il n’y ait toujours des questions singulièrement aiguës. En Angleterre comme en Écosse, les grèves se multiplient et les agitations ouvrières prennent des proportions croissantes, de plus en plus redoutables pour l’industrie et même quelquefois pour la paix publique. Il y a des centres industriels où la guerre est presque déclarée entre les chefs du mouvement ouvrier et les patrons qui s’organisent pour se défendre ou qui ferment leurs usines. L’état de l’Irlande, d’un autre côté, reste ce qu’il est toujours, malheureusement fort troublé par la lutte incessante des fermiers contre les propriétaires, et il a de plus cela de pénible aujourd’hui, qu’aux approches de l’hiver cette infortunée population irlandaise se sent menacée de l’affreuse misère, suite d’une mauvaise récolte. C’est l’éternelle plaie pour l’Angleterre ; mais enfin, si l’Irlande reste la grande éprouvée, la grande révoltée, il n’y avait eu depuis quelque temps ni agitations apparentes, ni incidens trop irritans, ni conflits, ni violences de police. M. Balfour lui-même, le brillant neveu de lord Salisbury, qui, de Londres, gouverne avec une dextérité hautaine l’Ile sœur, semblait au repos; il prenait encore, dit-on, ses distractions de campagne, lorsque tout d’un coup la politique de « coercition » ou de répression s’est réveillée ; elle s’est manifestée par une nouvelle campagne de police, par des arrestations, par la mise en jugement de deux des chefs irlandais, M. William O’Brien, M. John Dillon, et naturellement, l’agitation a plus que jamais recommencé dans cette malheureuse contrée aux passions inflammables. Elle a été d’autant plus vive que rien ne faisait prévoir les incidens qui en ont provoqué l’explosion.

On ne s’y attendait pas. L’opinion, même à Londres, ne semblait pas préparée à cette recrudescence de répression. Bien des Anglais semblent admettre que rien ne pressait, que, si le gouvernement, armé comme il l’est de lois exceptionnelles, est rigoureusement dans son droit, il n’y avait aucun intérêt à raviver prématurément les passions, qu’il valait mieux attendre le retour du parlement pour aborder en paix la discussion du bill agraire, des affaires d’Irlande. L’acte de force accompli à l’improviste par le ministère a paru d’autant plus inopportun que M. O’Brien et M. Dillon se disposaient à s’embarquer pour l’Amérique et allaient être pour quelque temps loin de leur pays.