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des idées déjà anciennes dans son esprit, était accablée par les malheurs et les dissentimens de sa famille. Descartes ne fait aucune allusion à ses confidences. Le Traité des passions destiné au public et à la postérité, convient à tous les esprits. La matière est haute ; Descartes, en la traitant, reste grave et sérieux. Il n’est pas éloquent et ne veut pas l’être ; il étudie les ressorts de l’âme et les classe, comme il classerait les courbes algébriques. L’amour vient à son rang, sans tenir plus de place ou prendre plus d’importance que la tristesse ou la haine. On ne lit guère aujourd’hui le Traité des passions ; quelques exemples suffiront pour mieux indiquer l’esprit du livre.

« L’amour est une émotion de l’âme causée par le mouvement des esprits, qui l’incite à se joindre de volonté aux objets qui paraissent lui être convenables. Et la haine est une émotion causée par les esprits, qui incite l’âme à vouloir être séparée des objets qui se présentent à elle comme nuisibles. Au reste, par le mot de volonté, je n’entends pas ici parler du désir, qui est une passion à part et se rapporte à l’avenir, mais du sentiment par lequel on se considère, dès à présent, comme joint avec ce qu’on aime, en sorte qu’on imagine un tout duquel on pense être seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre. Comme au contraire, en la haine, on le considère seul comme un tout, entièrement séparé de la chose pour laquelle on a de l’aversion. »

Descartes, poursuivant son analyse, aborde la distinction qu’on a coutume de faire entre l’amour de concupiscence et l’amour de bienveillance.

« On distingue communément deux sortes d’amour, l’une desquelles est nommée amour de bienveillance, c’est-à-dire qui incite à vouloir du bien à ce qu’on aime ; l’autre est nommée amour de concupiscence, c’est-à-dire qui fait désirer la chose qu’on aime. Mais il me semble que cette distinction regarde seulement les effets de l’amour et non point son essence ; car, sitôt qu’on s’est joint de volonté à quelque objet, de quelque nature qu’il soit, on a pour lui de la bienveillance, c’est-à-dire on joint aussi à lui, de volonté, les choses qu’on croit lui être convenables, ce qui est un des principaux effets de l’amour ; et si on juge que ce soit un bien de le posséder, ou d’être associé avec lui d’autre façon que de volonté, on le désire, ce qui est aussi l’un des plus ordinaires effets de l’amour. »

Élisabeth savait certainement tout cela ; et si sa jeune sœur Hollandine a eu l’indiscrétion de jeter un coup d’œil sur les feuilles réservées à la savante métaphysicienne admirée par Descartes, elle a pu, cette fois au moins, se trouver aussi cartésienne que sa