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rosser au besoin ces guides affectueux de ses affaires temporelles et spirituelles.

Il faut louer sans réserve les jeunes gouvernemens qui n’acceptent point un pareil état social, et qui luttent de leur mieux contre l’ignorance et l’inertie. Mais s’ils produisent des hommes politiques remarquables, ils comptent peu d’administrateurs. Ils ont quelquefois des ministres qui connaissent merveilleusement l’Europe et très mal leur propre pays. Ce sont des diplomates éminens, grâce à leurs qualités primesautières ; mais ils ont peu de goût pour les besognes terre à terre qui demandent moins de génie que de méthode et de persévérance. Ils se lamentent volontiers sur les défauts de leurs concitoyens, mais ils ne font rien, ou peu de chose, pour les guérir. La tâche ne serait pourtant point au-dessus de leurs forces : lorsque le duc de Richelieu entreprit de civiliser la Russie méridionale et de fonder Odessa, je doute que les Cosaques des steppes lussent beaucoup plus habiles cultivateurs que les habitans de la péninsule. Cependant, il fit de ce désert un des greniers de l’Europe.

Et puis, faut-il le dire ? Les formes parlementaires ne conviennent guère à ces peuples jeunes et rudes. Elles leur font perdre un temps précieux. Elles les accoutument à prendre les paroles pour les actes, à un âge et dans un pays où les actes importeraient plus que les paroles. Les plus beaux discours du monde ne feront pas pousser un brin d’herbe. S’il faut rallier les volontés éparses ; s’il est bon de faire délibérer les hommes en commun ; si enfin l’usage des assemblées s’est perpétué même à travers la conquête, je voudrais des conseils mieux appropriés aux besoins de ces peuples, plus simples, plus rares et en même temps plus solennels, faits pour contrôler ou pour ratifier sommairement les décrets d’un gouvernement vigoureux. On regrette le temps où le prince Milosch convoquait le peuple en plein air, et tenait ce langage devant dix mille citoyens groupés sur le penchant des collines : « j’ai voulu vous réunira la Saint-Georges ; mais le manque de fourrages pour une si grande quantité de chevaux m’a forcé d’attendre, et de réduire cette assemblée à peu de personnes. »

Passons rapidement sur des défauts de jeunesse, qui, après tout, n’attaquent pas les sources de la vie, et qui n’ont point empêché la Roumanie, la Grèce, la Serbie, de réaliser des progrès surprenans. Le voyageur qui les visite à vingt ans d’intervalle ne les reconnaît plus. Il parcourt mollement en chemin de fer ces routes sur lesquelles il avait été durement cahoté par des charrettes antédiluviennes. Il retrouve des villes naissantes, des hôtels et des trottoirs, où il avait laissé des bourgades, des taudis et des fondrières. C’est une affaire de temps. Mais ce que le temps ne peut