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L’unification du savoir par ses principes et par ses conclusions philosophiques est particulièrement nécessaire dans notre pays. C’est, en effet, une tendance native de l’esprit français que de considérer tout à un point de vue général, de tout analyser, de tout raisonner. Depuis Descartes et depuis le XVIIIe siècle, cette tendance est de plus en plus manifeste ; on ne peut espérer la détruire, ni changer notre esprit national. Elle a ses inconvéniens, sans doute, quand on se contente d’une logique abstraite, — Très voisine de la géométrie, — et d’une philosophie superficielle ou « simpliste ; » mais le remède à l’abus est dans un meilleur usage de notre rationalisme même. Puisque le peuple français, trop peu soucieux des traditions et de plus en plus composé de « libres penseurs, » a l’ambition de tout juger par raisons et raisons universelles, ne remettons pas aux journalistes, aux avocats et aux politiciens le soin de lui fournir une philosophie : donnons aux études morales et politiques des classes dirigeantes plus de solidité et plus d’étendue.

Au point de vue social, la principale cause de notre malaise actuel est l’antinomie d’idées ou de directions soit entre les diverses classes de la société, soit entre les divers partis politiques ; le principal remède est dans tous les enseignemens qui ont pour but d’organiser les idées en vue d’une harmonie finale. Nouvelle raison pour enseigner à notre jeunesse les élémens des sciences sociales, économiques et politiques. Les divergences d’opinion qui subsisteront entre ceux qui auront étudié ces sciences seront beaucoup moins grandes que celles qui éclatent aujourd’hui entre les esprits livres à leurs seuls instincts, à leurs préjugés, à la demi-instruction que donne la lecture de livres pris au hasard, ou de journaux qui flattent vos illusions. En outre, ceux qui ont étudié méthodiquement les grandes questions ont acquis par cela même ce qu’il y a de plus précieux et ce qui manque aux autres, ce qui manque surtout aux jeunes gens et aux hommes de notre pays, le sentiment des difficultés.

Seule l’étude des sciences de l’esprit préviendra cette anarchie intellectuelle et morale qui menace de nous diviser en fractions dont chacune, confinée dans sa spécialité égoïste, finira par perdre de vue les intérêts de l’ensemble, le rapport de toutes choses à l’union nationale. Ce ne sont ni les sciences positives, ni les études purement littéraires qui y peuvent remédier. Les sciences, en effet, ont une direction de plus en plus centrifuge, qui, si elle n’est point contre-balancée par la philosophie, ramènera les esprits à l’état de la matière diffuse et informe. Elles aboutiront, si elles sont seules, à nous rendre « machines en tout. » On connaît la recette célèbre de Pascal pour « ployer la machine, et mettre fin aux