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questions indiscrètes : « Pratiquez, prenez de l’eau bénite, cela vous abêtira. » On peut dire de même : Pratiquez, résolvez des équations, récitez des formules toutes faites et des nomenclatures, cela vous abêtira. Et en effet, le seul moyen d’échapper aux curiosités de la philosophie, à ses échappées sur le monde intérieur et sur le grand tout, ce sera ou la foi machinale dont parlait Pascal, ou cette science machinale qui, rapprochant l’intelligence de l’automatisme, sera elle-même, au sens du vieux mot, un abêtissement. Trouvera-t-on un palliatif suffisant dans une littérature devenue elle-même toute formelle : l’art pour l’art, le style pour le style ? Non ; on fera des vers à rimes riches et à pensées pauvres, comme nous en voyons déjà de nos jours en France, et la poésie même sera devenue un petit talent mécanique.

Les études morales et sociales, dont l’organisation doit être l’œuvre maîtresse du prochain siècle, ont un privilège unique : elles constituent à la fois l’instruction la plus utile et l’éducation la plus désintéressée. Elles fournissent ainsi la solution de ce qu’on pourrait appeler la grande antinomie de l’enseignement moderne. En effet, la portée des sciences de l’esprit étant universelle, leur utilité comme instruction est également universelle. Psychologie, logique, morale, droit, politique et économie sociale servent dans toutes les professions, — scientifiques aussi bien que littéraires. Elles fortifient et assouplissent ce qui, selon Bacon, est l’instrument des instrumens, à savoir l’homme même. En outre, elles voient toujours l’homme dans son rapport avec l’humanité. Or, s’il est inadmissible de ne point connaître les relations de l’homme avec les objets extérieurs de la nature, il est encore bien plus inadmissible, surtout de nos jours, de ne pas connaître ses relations avec cet autre monde, sans cesse grandissant, où il a sa vraie patrie : la société humaine. Le principal « besoin » pratique des sociétés modernes, c’est précisément de se connaître. D’autre part, au point de vue de l’éducation, les études morales et sociales sont les maîtresses de réflexion par excellence. Au lieu de porter l’attention au dehors, sur le matériel des faits, elles l’habituent à remonter des apparences à la réalité intime, à l’esprit qui anime et vivifie. Elles sont pour ainsi dire l’examen de conscience intellectuel : celui qui ne rentre jamais en soi-même ne vit que d’une existence superficielle et dissipée au dehors, il n’a point ce qu’on pourrait appeler la moralité de l’intelligence. Plus les sciences de la nature et les arts de l’industrie font de progrès, en même temps que diminuent ceux de la théologie positive, plus il faut que les études psychologiques, morales et sociales rappellent l’esprit moderne à la vie intérieure, pour l’élever peu à peu à une vie supérieure : ab exterioribus ad interiora, ab interioribus