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nécessairement des personnes et constitue, en somme, une série de « personnalités. » Au contraire, une théorie pure, exposée par un philosophe, n’a rien de blessant pour ceux qui ont une conviction contraire, parce que les idées sont essentiellement impersonnelles. Pouvez-vous nier, par exemple, fussiez-vous monarchiste, qu’il existe une théorie du gouvernement républicain, et, fussiez-vous républicain, qu’il existe une théorie du gouvernement monarchique ? Entre ces deux théories, vous avez le libre choix, mais encore est-il bon, pour que votre choix soit éclairé et effectivement libre, de les connaître. Comment donc un jeune homme, comment un père de famille, quelles que soient leurs opinions, pourraient-ils trouver mauvais qu’un professeur expose d’une manière toute philosophique les principes régulateurs des diverses formes de gouvernement, les avantages que chacune d’elles se propose, les dangers qui lui sont propres, les moyens qu’on peut employer pour obtenir les avantages et éviter les dangers ? Ce sont là des problèmes de science pure. Étant donné un gouvernement de forme démocratique, il est clair qu’il a certaines conditions à remplir. Étant donné ce fait, que la France a aujourd’hui une constitution républicaine, il est clair que tout homme éclairé et dévoué à son pays doit connaître les principes de cette constitution. On demande sans cesse à la réviser et on ne la connaît même pas. Si nous avons deux chambres et non une seule, c’est sans doute qu’il y a une raison théorique, bonne ou mauvaise, en faveur de ce système, et que cette raison est celle qui a prévalu. Supposez même que le professeur de philosophie laisse voir son opinion personnelle en politique, aucun de ses élèves ne peut s’en trouver froissé ; il n’y a rien de blessant pour vous à ce que je sois républicain ou monarchiste. Ce qui est blessant, c’est de raconter « l’histoire » de la république en traitant tous les républicains de fous et de brigands, ou « l’histoire » de la monarchie en traitant tous les monarchistes de tyrans et de traîtres à la patrie[1]. En conséquence, rien de plus stérile que la plupart des discussions politico-historiques. Les esprits ne s’y peuvent mettre d’accord ni sur les hommes, ni sur les choses, ni sur le cours des événemens, ni sur l’enseignement qui en ressort. Se sont-ils au moins éclairés l’un l’autre ? Pas le moins du monde : chacun s’en va comme il était venu, souvent plus aigri. Que les discussions politico-philosophiques, elles aussi, n’aboutissent pas à l’accord, soit ; mais au moins les esprits se seront fourni l’un à l’autre un certain

  1. Lisez, dans les Manuels civiques de cet excellent Paul Bert (un savant égaré dans la politique), la description outrageuse et fausse de l’ancien régime, suivie de la description enthousiaste et non moins fausse de l’époque révolutionnaire.