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chemins de fer, évidemment, mais nous ne l’avons plus ; et alors qu’autrefois les heureux du monde goûtaient seuls le plaisir (parfois un peu frelaté) de manger hors de saison les légumes de primeurs, les fruits que les malle-postes amenaient en petite quantité à Paris, c’est tout le monde aujourd’hui qui veut goûter à ce que naguère on pouvait appeler le fruit défendu, manger les choux-fleurs, les artichauts de la Provence avant que les maraîchers de Paris n’en produisent, les fraises de Carpentras et d’Hyères alors que les jardins de Bourg-la-Reine attendent encore la floraison, les raisins de Montpellier alors que les treilles de Fontainebleau en sont encore au verjus, les pêches du Roussillon s’étalant aux Halles ou dans les charrettes des marchands des quatre saisons, alors que Montreuil couvre encore de paillons ses riches espaliers.

Est-ce un bien? est-ce un mal? Vaut-il mieux se créer des besoins et les satisfaire que n’en point avoir d’artificiels ? Grosse question que ce n’est pas ici le lieu d’aborder. — C’est un fait, nous nous bornons à le constater.

Les chemins de fer français achevés, les Alpes, les Pyrénées se sont percées, les services à vapeur de la Méditerranée, de l’Océan se sont perfectionnés et à des dates encore plus prématurées, les primeurs d’Italie, d’Espagne, d’Algérie, des Antilles même ont demandé et pris leur place sur nos tables et dans nos marchés. — A tort ou à raison, les consommateurs de Paris s’en réjouissent ; nos maraîchers de la banlieue ont-ils raison de jalouser leurs confrères de nos départemens du midi, et ces derniers de crier haro contre la concurrence que leur font, grâce aux chemins de fer, les producteurs des régions encore plus ensoleillées de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Algérie?

Tout est une question de mesure, et nous aurons à examiner si les chemins de fer l’ont dépassée.

En ce qui concerne les céréales, il arrive de temps à autre, malgré l’étendue et la fertilité de nos champs, que leur récolte demeure inférieure à la consommation; il faut bien, dans ces années malheureuses, introduire, faire pénétrer en France ce qui nous manque.

Pour les vins, que notre pays produisait il y a dix ans en quantité bien supérieure à ses besoins, il est bien connu qu’en suite des ravages du phylloxéra, dans les départemens les plus producteurs, la récolte, depuis de longues années, ne donne plus que des quantités très inférieures à notre consommation, laquelle n’a pas diminué. Les replantations de vignes américaines se développent, le vignoble dans les départemens du Gard et de l’Hérault qui tenaient le premier rang dans la production du vin s’améliore chaque