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en un pédant de philosophe l’homme du monde qui a le plus détesté « les professeurs de philosophie, » et à faire de son nom, qui est celui du plus spirituel des Allemands, le synonyme d’obscurité métaphysique, de lourdeur, et d’ennui savant. Mais maintenant qu’il semble que la mode se soit détournée de Schopenhauer et du pessimisme vers d’autres objets qui lui conviennent mieux, c’est le moment d’y revenir, et pour cela de profiter de l’excellente et toute récente traduction de M. A. Burdeau. Parmi tant d’autres occupations qu’il a, si le savant député de Lyon a consacré trois ans de ses loisirs à traduire de nouveau le Monde comme volonté et comme représentation, c’est probablement qu’il a cru qu’on avait assez mal jugé Schopenhauer, en France, et que le procès du pessimisme n’était pas encore terminé. Nous qui le croyons comme lui, nous ne nous pardonnerions pas de laisser échapper l’occasion de le dire : — Et, si nous le pouvons, de le prouver.

« Les recherches de morale, a dit quelque part Schopenhauer lui-même, présentent une importance incomparablement supérieure à celle des recherches de physique, ou de toute autre recherche en général ; » et en le disant, il a bien indiqué ce qui fait le caractère original de sa philosophie, comme aussi la supériorité du pessimisme sur toutes les doctrines qu’on essaie de lui opposer. Le pessimisme est une morale; l’optimisme, — et je n’entends pas ici l’optimisme vulgaire, celui de Béranger, par exemple, ou de Paul de Kock, mais l’optimisme philosophique, celui de Spinosa, si l’on veut, ou celui de Leibniz, — l’optimisme, n’est et ne peut être qu’une métaphysique. Lorsque Leibniz proclame que « tout est au mieux dans le meilleur des mondes, » il n’en sait rien. Il ne dit rien, au moins, qui soit fondé sur l’expérience actuelle de la vie. C’est une conséquence qu’il tire d’une certaine idée qu’il s’est formée de Dieu, dont la « toute-puissance » ne serait qu’un leurre, et la « bonté » qu’un mot, si ce monde, qui passe pour être le chef-d’œuvre de ses mains, était radicalement mauvais. Il fait de la métaphysique. Pareillement, pour suivre Hegel à travers les détours et les obscurités de sa Philosophie de la nature ou de sa Philosophie de l’histoire, il faut qu’on commence par lui consentir ou par lui passer un certain nombre de définitions et d’axiomes. Il fait toujours de la métaphysique. Mais ce qui fait la force du pessimisme, c’est que, s’il se couronne, en quelque sorte, aussi lui, d’une métaphysique, elle est induite, non déduite; ultérieure à la connaissance de l’homme et de la vie, non pas antérieure ; tirée du spectacle et de l’expérience des choses, au lieu de leur être comme imposée et superposée du dehors. Schopenhauer ne nous demande que de jeter avec lui les yeux sur ce qui nous entoure, de considérer le train ou les accidens de la vie quotidienne, et, quoi qu’il avance ou qu’il affirme, nous ne le comprenons pas, si nous n’entendons pas qu’il nous invite à le contrôler, en nous