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idées, le même langage. N’y a-t-il pas là de la « cocotte, » quoi qu’en dise M. Lemaître ? Le caractère, en tout cas, n’est pas « simple ; » il est au contraire « complexe, » dont je n’ai pas garde de me plaindre; mais il est en même temps « multiple; » et c’est ce qui le rend à la scène obscur et incertain. Lui aussi, comme le caractère du député Leveau, il appartient moins à la comédie qu’au roman.

Enfin le même embarras se retrouve dans la satire politique, et, en passant, c’est ce qui fait qu’en dépit de son titre, le Député Leveau n’est pas ce qu’on appelle une comédie politique. Dirai-je que j’en ai ressenti quelque surprise, et qu’habitué depuis quelque temps à voir M. Lemaître demander compte aux autres de ce qu’ils pensent, — et même de ce qu’ils « croient, « — je m’attendais qu’il prît parti? Oui et non ! Oui; car il semble qu’il y ait de certaines questions que l’on ne doive pas toucher sans dire nettement ce que l’on en pense. Mais non; car, après tout, c’est le droit de l’auteur dramatique, comme du romancier, de se faire le peintre désintéressé, sinon toujours impartial, des mœurs de son temps. Puisqu’il ne prétend pas nous pousser à l’action, il lui est permis de ne pas conclure. Mais il arrive alors rarement que sa pièce en soit plus claire, et c’est le cas du Député Leveau. La preuve n’en est-elle pas que, tandis que le député Leveau nous paraissait à tous un assez vilain homme, égoïste et brutal, et que nous inclinions vers le député Deslignières ou vers le marquis de Grèges, il se trouve, au contraire, que dans la pensée de M. Lemaître, c’est son radical à qui nous eussions dû nous intéresser, et c’est sa victoire que nous devons considérer comme la nôtre ? Et, en vérité, nous ne l’eussions pas cru, si M. Lemaître ne nous l’eût dit lui-même.

Bien des raisons, sans parler de cette affectation de scepticisme dont M. Lemaître s’est fait une brillante originalité, peuvent d’ailleurs expliquer ce qu’il y a d’obscur ou d’équivoque dans la comédie de M. Lemaître. Je n’en toucherai que la principale. Lui aussi, comme les auteurs ordinaires du Théâtre-Libre, lassé des conventions qui règnent encore sur la scène, M. Lemaître voudrait donc mettre en action des caractères plus vrais, plus réels, moins simples, et surtout moins logiques, moins conformes à eux-mêmes que ceux qu’on y voit d’ordinaire, et qui remplissent aussi bien le répertoire d’Emile Augier que celui d’Eugène Labiche. On ne saurait trop l’en féliciter; et depuis cinq ou six ans qu’il travaille dans son feuilleton des Débats à nous délivrer de ces prétendues convenances dramatiques, on ne saurait trop le louer d’avoir voulu montrer lui-même, par son exemple, qu’on peut s’en passer. Mais voici la difficulté. D’une part, selon le mot de M. Dumas, qui a le droit d’en être cru sur le sujet, la qualité maîtresse au théâtre, ou plutôt souveraine, c’est la logique. D’autre part, s’il y a quelque chose d’illogique au monde, c’est la vie, avec ses rencontres, ses hasards, ses