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SACRIFIÉS.

quelque sorte la confession du fils. L’accent ému et sincère du jeune homme l’avait favorablement disposé ; la raison d’ailleurs plaidait de ce côté. Le sens plébéien du jésuite, secrètement hostile aux prétentions héraldiques, était ici d’accord avec la raison.

Aussi, lorsqu’il eut reçu la confession du mourant, il lui dit de cette voix profonde qui trouvait si bien le chemin du cœur :

— Mon fils, vous avez vécu dans la foi de vos pères et de l’Église. Si Dieu vous rappelle à lui, vous pouvez partir sans crainte, le ciel s’ouvre à tous ceux qui ont combattu le bon combat pour son divin Christ. Cependant, avant de vous absoudre, songez encore une fois qu’il faut abandonner ici-bas toutes les arrière-pensées, les rancunes et les rigueurs ; Dieu se fait pour nous ce que nous nous faisons pour les autres, c’est avec une simplicité d’enfant qu’on l’approche le mieux.

Tout à l’heure, en arrivant ici, j’ai été péniblement surpris de rencontrer votre fils errant de pièce en pièce, banni de celle-là seule où était sa place, de cette chambre où souffrait son père. Il a été mon élève, à bien des titres il m’est cher, il était naturel qu’il m’ouvrît son cœur. J’ai donc su qu’un différend vous sépare, que vous avez souffert cruellement l’un par l’autre, et je me suis demandé si, comme ministre de Dieu et conseil d’une famille, je ne faillirais pas à ma mission en laissant désunies et troublées deux âmes qu’un pareil moment doit à tout prix confondre dans un même élan, une même prière, une même pensée ?

— J’ai pardonné, articula avec effort le vieillard.

— Cette parole, il faut que votre enfant la reçoive de votre bouche. Et s’il vous adressait alors une suprême requête, au nom de son bonheur, de l’avenir de votre maison, vous sentiriez-vous le droit, devant Dieu, de le repousser cette dernière fois ?

Le comte eut une flamme sombre dans les yeux.

— Un fils, dit-il à voix basse, mais très distincte, qui violenterait ainsi son père à son lit de mort ne serait pas un fils. Ne savez-vous pas que ce qu’il demande est impossible ?

— Impossible de par la loi de vos chimères humaines, reprit le prêtre durement, et c’est au nom de ces préjugés sans consistance, échafaudés par votre étroite vanité, que vous vous justifierez devant Dieu d’avoir désespéré votre enfant ? Eh bien ! moi qui vous assiste de la part de ce souverain maître, je vous dis : Faites acte de pitié, faites acte de justice, pendant qu’il en est temps encore. Le christianisme ne connaît pas vos aristocraties, sa voie est toute large ouverte, tandis que, inaccessibles dans votre orgueil, vous restez, pour vos semblables, impitoyablement fermés. Oubliez tout ce qui finit à la terre, ne soyez plus qu’uniquement, absolument chrétien.