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locuteur, Mme Marbel, après cette présentation, ne pouvait qu’entrevoir l’avantage d’une relation inespérée s’offrant à point pour rompre le terrible ennui dont elle était menacée. Sa sœur, survenant au moment où de Vair se nommait, eut l’esprit traversé de la même idée, et, désignant les chasseurs rassemblés, immobiles sous les armes :

— Il faut absolument, monsieur, dit-elle gaîment, que vous leur permettiez de boire à notre bienvenue…

Et comme il s’en défendait un peu :

— C’est dit, ajouta-t-elle ; aussi bien les bouteilles sont commandées, et les voici qui arrivent…

Un maître d’hôtel, rouge de l’émotion du réveil et de la bousculade qui y faisait suite, s’agitait en effet, aidé par deux femmes de chambre, et, sur une table, devant la porte, s’alignaient verres et bouteilles.

— Mireille, ton idée est charmante, s’écria Mme Marbel toute joyeuse. Vous ne pouvez pas, monsieur, tout de suite nous chagriner par un relus… Et puis n’êtes-vous pas un peu notre prisonnier ?

De Vair aurait-il eu une objection à formuler qu’il l’eût vivement refoulée, tant cette aventure commençait à le captiver.

11 fil donc former les faisceaux et rompre les rangs.

On avait apporté un immense samovar qui chantait gaîment, des théières et une armée de récipiens de toutes formes et de tous calibres, et Mireille abordait chaque chasseur avec une tasse, étonnée, presque chagrine de la voir rebutée. En vain elle levait un regard suppliant vers le capitaine comme pour implorer l’explication de son insuccès ; celui-ci, très rêveur ce jour-là, se demandait encore comment de ces broussailles foulées par lui chaque jour il était sorti deux femmes exquises, qu’il avait encore une certaine peine à ne pas prendre pour des apparitions prêtes à s’évanouir. À la fin il eut l’intuition de cet embarras :

— Oh ! mademoiselle, dit-il vivement, les chasseurs à pied ne connaissent le thé qu’à l’infirmerie. Voulez-vous me permettre de vous éclairer sur leurs goûts ?

Et il fit passer les bouteilles que les hommes se partagèrent avec empressement. Puis s’approchant d’elle :

— Il ne sera pas dit, mademoiselle, que tous les chasseurs vous auront refusé cette tasse de thé, je la prends pour moi, si vous voulez bien me l’offrir.

Il s’empara de la tasse, malgré les protestations de la jeune fille, qui répétait qu’un lunch avait été servi pour lui à l’intérieur, et qu’il la désobligerait en buvant son thé dehors.

D’ailleurs le moment de partir était arrivé. Le soleil se faisait