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reconnaît ces pseudo-amis de la France, car il ne faudrait pas croire à un attachement sérieux de leur part, — à ce qu’ils ont à la main un chapelet de bois de santal qui les aide à se débrouiller dans les quatre cents dikrs ou prières, agrémentées douze fois d’un verset du Coran qu’ils ont à réciter tous les jours.

Après cette confrérie vient celle des Rahmanya, ennemie de la précédente. Son chef, à la suite de la révolte de 1871, fut transporté en Nouvelle-Calédonie, d’où il a réussi à s’évader. On le croit à la Mecque. Les Rahmanya sont excessivement nombreux en Algérie. Des femmes en font partie, et l’influence de celles-ci, quoi qu’on en ait dit, est considérable sur les hommes en matière religieuse. « Que diraient nos femmes? Voudraient-elles nous voir encore? » disent les Arabes lorsqu’ils hésitent devant un appel à l’insurrection.

Il y a la confrérie des Bakkaya, dont le centre est à Tombouctou, puis, celle de la tribu des Ouled-Sidi-Cheikh, très influente dans l’Algérie méridionale. Au Maroc et dans la province d’Oran se trouvent les Taybyas, qui doivent répéter journellement quatre mille six cent cinquante fois un formulaire de prières. Il y a encore les Aïssaouas, qui, il y a trois ans, furent hués sur les planches des Folies-Bergère, à Paris, et empêchés, par l’horreur qu’ils inspiraient, d’y donner leurs jongleries. A l’Exposition dernière, les visiteurs se montrèrent moins impressionnables ; on vint en foule les voir. Les vrais croyans les considèrent pour ce qu’ils sont, des fourbes et des faiseurs de tours. Tout n’est pourtant pas grossier chez eux, et on trouve dans leurs doctrines un mysticisme poussé à une limite extrême. Il n’y aurait qu’un initié qui pourrait nous expliquer les visées de cette secte étrange. M. le commandant Rinn donne de leurs prières ces extraits, bien faits pour étonner :

« Le Prophète dit un jour à Abou-Dirr-el-R’itari : O Abou-Dirr, le rêve des pauvres est une adoration; leurs jeux, la proclamation de la louange de Dieu; leur sommeil, l’aumône. »

Et ceci :

« Prier et jeûner dans la solitude et n’avoir aucune compassion dans le cœur, cela s’appelle être dans la bonne voie de l’hypocrisie. »

Et quelles belles phrases sur l’amour!

« L’amour est le degré le plus complet de la perfection. Celui qui n’aime pas n’est arrivé à rien dans la perfection... Il y a quatre sortes d’amour : l’amour par l’âme, l’amour par l’intelligence, l’amour par le cœur, l’amour mystérieux... »

Les hommes qui expriment de telles pensées sont les mêmes qui se font sortir un œil sanglant de l’orbite, qui mâchent la feuille