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d’un cactus hérissé d’épines, qui broient le verre, avalent les scorpions, déchirent de leurs dents un mouton vivant et s’enfoncent un ter rouge dans leur chair qui crépite. Lorsqu’on fait l’autopsie du corps d’un Aïssaoua, l’on y découvre, comme dans le corps d’un requin, une foule d’objets hétéroclites. Quelles sont les limites de la folie humaine ? Bien avisé qui croirait les connaître.

Je terminerai ce résumé des confréries musulmanes par celle des Snouasya, la plus nombreuse, la plus militante de toutes. En France, son nom est presque inconnu de tous ; en Égypte et en Angleterre, elle rappelle la perte du Soudan et la destruction d’une armée de 7,000 hommes, à la tête de laquelle marchait un trop imprudent général anglais. L’ordre religieux des Snoussya est l’œuvre d’un Algérien, Si Mohammed-ben-Ali-ben-es-Snoussi, qui le fonda en 1835, s’appuyant sur ce qu’il descendait du prophète. Comme tout fervent musulman, il se rendit à la Mecque, où ses prédications le rendirent insupportable ; il en fut chassé et se retira à l’ouest de l’Égypte, là où les Grecs avaient jadis fondé une brillante colonie appelée Cyrénaïque, du nom de sa capitale, Cyrène. Le monastère ou zaouïa qu’il y créa, compta bientôt de nombreux adhérens, mais si nombreux que Si Mohammed, persécuté par des sectes jalouses, fut contraint d’aller s’installer au milieu des sables du désert, dans l’oasis de Djer-Boub. Il y créa une nouvelle zaouïa, dont les adeptes se répandirent en apôtres militans dans le centre de l’Afrique, où on les trouve toujours. Lorsqu’il mourut, il avait pour affiliés tous les chefs des tribus soudaniennes et tous les cheiks de la Tripolitaine. Son tombeau est devenu le but de pèlerinages aussi méritans pour ceux qui le font que les pèlerinages de la Mecque. Son fils, le Cheik-el-Mahdi, célèbre en Europe, lui succéda, et, d’une façon si heureuse, que, sans jamais s’être montré à ses partisans, ceux-ci ont longtemps affirmé qu’il portait entre les deux épaules le signe noir et rond, dont Moïse, Jésus-Christ et Mahomet auraient été marqués. C’est, du moins, ce que rapporte une légende arabe.

Les visées des Snoussya sont des plus ambitieuses et leurs pratiques des plus simples. Elles consistent, — les premières à courber le monde entier sous les lois de l’Islam, les secondes, à ne prêcher que les doctrines pures du Coran. Les Snoussya désirent autant que possible ne pas employer la force pour faire des conversions ; la persuasion leur convient mieux, mais il est difficile de croire qu’ils n’ont pas combattu les Anglais au Soudan par les armes. Lorsque l’Allemand Gerhard Rohlfs offrit au mahdi l’alliance de la Prusse s’il voulait nous faire la guerre en Algérie, le mahdi refusa. Les Italiens qui, avec son aide, espéraient