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ses enfans pour n’avoir pas à leur acheter des hardes, le khammès, bientôt à bout de ressources, se voit contraint d’emprunter quelques centaines de francs à son propriétaire ; du moment où il a fait cet emprunt, le misérable n’est plus libre : il devient en quelque sorte l’esclave de celui qui l’a obligé. Découragé, abattu, il travaille sans goût cette terre confiée à ses mains, terre qui, au lieu de l’aisance et de la liberté, ne lui rapporte que le servage. Que la récolte soit bonne ou mauvaise, le propriétaire, qui vit également de peu, se contente de la part du lion qu’il s’est faite. Peut-être serait-il plus équitable ou plus charitable à l’égard de son khammès si les impôts que prélève le gouvernement beylical sur quiconque possède n’étaient pas exorbitans. Ils dépassent souvent le dixième du revenu.

L’impôt qui frappe plus lourdement le propriétaire-cultivateur est celui qu’on appelle l’achour. Il est réglé par des commissaires spéciaux qui, tous les ans, doivent constater de visu le rendement des terres cultivées, et c’est sur ces rendemens qu’il est établi. Comme il est impossible que ces experts puissent voir de leurs propres yeux et avec l’attention voulue tout ce qui a été ensemencé dans leur région, c’est l’arbitraire et le bon plaisir qui trop souvent règlent l’impôt.

Il ne faut donc pas s’étonner si de Tunis à Kairouan et de Kairouan à la région des chotts, vous rencontrez tant de terres sans culture. Ce n’est qu’en quittant la ville sainte, après avoir traversé de grandes zones couvertes à perte de vue de mauves en fleurs, de boutons-d’or, de pâquerettes blanches et d’une pâle immortelle que, non loin de Sousse, vous trouvez des jardins où flamboie la grenade, où les figuiers et les oliviers atteignent de magnifiques proportions. Il en est ainsi dans tout le Sahel tunisien, région qui s’étend de Mahadia à Monastir et de Monastir à Sousse.

Charmante et délicieuse relâche que celle que vous faites dans cette dernière ville après tant de journées passées sous un ardent soleil et sans qu’un peu de verdure ait réjoui vos yeux. Et qu’elle est bien campée, la jolie ville arabe avec sa ceinture de murailles blanches sur le bord de la mer bleue ! Faites en sorte d’y arriver à la tombée de la nuit, après une journée brûlante, et vous vous sentirez revivre, enivré, en y respirant à pleine poitrine l’air pur et frais qui vous vient du large.

On trouve aussi l’olivier aux environs de Tunis et de Bizerte, mais là il est si vieux, si creux, si décharné, qu’il est fort possible que Marins ou Caton d’Utique se soient assis à l’ombre de son premier feuillage. L’olivier se rencontre aussi dans la partie inférieure de la presqu’île du Cap-Bon, aux environs de Sfax,