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1889, 67 établissemens privés ou publics d’éducation et d’instruction, dont 20 dirigés par des congréganistes, et 47 par des maîtres laïques. Le nombre des élèves à la même époque était de 9,494. — De 1885 à 1889, la population scolaire a doublé; or, ce résultat, dû en grande partie aux efforts du directeur de l’enseignement en Tunisie, M. Machuel, porte aussi bien sur les élèves français que sur les élèves italiens, maltais, Israélites et musulmans.

Je crains d’abuser des chiffres fournis par le lumineux rapport de M. Machuel, mais il m’est impossible de taire qu’en 1883 la Tunisie ne comptait que 150 indigènes étudiant la langue française, et qu’en 1889 on en comptait 1,765[1]. Rien ne prouve plus éloquemment la progression de notre influence, et cette progression continuera si l’on persiste à respecter les croyances et les nationalités de chaque élève. « C’est là notre devoir, dit le directeur de l’enseignement public en Tunisie à la fin de son rapport. Répandons nos idées de progrès et d’émancipation morale et intellectuelle ; mettons surtout en relief le génie et la puissance de notre nation ; mais n’oublions pas que les peuples ne se modifient pas du jour au lendemain; que les traditions et les préjugés sont tenaces ; qu’on tomberait dans l’intolérance et le fanatisme en voulant les détruire par la force, et que les meilleures armes à employer en faveur du progrès sont l’instruction, la sagesse et la patience. Appliquons-nous donc à faire ici, dans ces conditions, des amis de la France ; la tâche n’est ni sans profit ni sans grandeur.

J’ai vu, dans le livre de M. Ludovic de Campou, que M. Machuel voudrait reconstituer en Tunisie « les anciennes universités arabes du XIVe siècle, universités d’où sortirent des hommes vraiment remarquables, et à la tête desquels il faut citer l’historien des Berbères, Ebn-Khaldoun[2]. Aurait-on l’assurance qu’elles produiraient des hommes ayant des hauteurs inconnues aux musulmans, qu’il faudrait en toute hâte les rétablir de nouveau. »

Pour un historien comme Ebn-Khaldoun, rara avis, doit-on augmenter le nombre de ces établissemens où le fanatisme religieux se perpétue et ne désarme jamais? Je ne le pense pas. Ce ne sera qu’après de longues années, peut-être après un siècle, lorsque la

  1. La Tunisie française. Paris, 1887.
  2. « Le XIVe siècle offre un historien supérieur dans Abd-Er-Rhaman-Ebn-Khaldoun, né à Tunis en 1332, mort en 1406. Il parcourut une carrière brillante, mais agitée, et fut revêtu de hautes magistratures à Tunis, à Fez, à Tlemcen et en Égypte. Ce judicieux et savant écrivain a composé une Histoire universelle et une Histoire des Berbères où, se plaçant à une hauteur inconnue des musulmans, il a mérité le surnom de Montesquieu des Arabes. » (Description du Maroc, par l’abbé Godart.)