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coup : Robespierre venait de tomber. Pourquoi ne pas exploiter la curiosité du public en portant ce beau sujet à la scène? Ils se donnèrent vingt-quatre heures pour achever leur drame : Coleridge fit le premier acte, Southey le second, Lovell le troisième. Malheureusement, quand l’œuvre fut terminée, aucun éditeur n’en voulut. Ils eurent beau courir les journaux et les théâtres de Londres. Ils revinrent à Bristol sans avoir réussi. Southey proposa timidement de fonder la « Pantisocratie » dans le pays de Galles, ce qui serait moins loin et moins cher : on lui rit au nez. Une année se passa, pendant laquelle les idées religieuses de Coleridge devinrent plus ferventes que jamais : s’étant lié avec un ministre de l’église unitaire, il obtint de lui le droit de prêcher quelques sermons ; mais, le jour venu, il refusa de revêtir le costume ecclésiastique et parut en chaire avec un habit bleu à boutons d’or et un gilet blanc. L’assistance ne goûta ni son discours, ni son costume, et il renonça, pour un temps, à la prédication. Cependant il s’était marié en 1795 : il se retira avec sa jeune femme à Clevedon, près de la mer, et là, — c’est M. Brandl qui l’affirme, — la « vie pantisocratique » fut menée pour la première fois dans toute sa beauté par des adeptes fervens. Les deux jeunes époux habitaient une maisonnette abandonnée, bâtie tout exprès pour un couple de philosophes. «Il n’y avait point de verre sur la table de toilette, ni de casserole dans la cuisine. La jeune femme dut se passer de café, de riz, d’épices et de quelques autres bagatelles. » Sans un ami complaisant, il n’y aurait pas eu de tapis. Ils s’occupaient « à penser, à faire des vers, à quelques travaux de ménage. » Coleridge parlait « des géans de Spenser, et des héros d’Ossian, du lien mystérieux qui unit le monde spirituel au monde physique, et de l’Inconnaissable. » Il inquiétait sa jeune femme par la hardiesse de ses opinions et de ses rêveries; mais il la rassurait en lui enseignant la versification. Quand on lui parlait de payer son loyer, — qui n’était, il est vrai, que de cinq livres par an, — il répondait avec assurance qu’une semaine lui suffirait pour gagner cette somme. Puis un jour ce beau rêve finit brusquement : ils apprirent que le positif et ingrat Southey venait de partir pour le Portugal. C’était le seul « Pantisocratiste » qui eût quelque sens pratique : son départ fut, pour le système, le coup de grâce. Coleridge par la bien de faire appel à l’opinion et de publier « un volume in-quarto » sur la réforme sociale. Mais ce n’est pas le seul volume in-quarto, ni même in-folio, qu’il ait annoncé, et qui pourtant ne se retrouve pas, — on ne sait par quel hasard, — dans ses œuvres.

Est-ce à dire que de cette effervescence révolutionnaire, qui est au berceau du romantisme anglais, il ne soit rien sorti? Ce serait