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un petit traité fort sérieux, intitulé : les Droits des bêtes. Quid rides? pour faire suite à la Déclaration des droits de l’homme. Il y proposait l’égalité absolue entre toutes les créatures, l’interdiction de toute nourriture animale et surtout l’étude attentive du langage des animaux, afin qu’on pût converser avec eux. Personne ne fut tenté d’en rire dans le petit clan romantique, et, s’il y eut un sceptique, ce ne fut ni le pythagoricien Coleridge, ni Wordsworth, ce chantre des coucous, des ânes, et des enfans idiots. La nature leur semblait à tous trop profondément divine.

Car c’est toujours l’idée religieuse qui est au fond de leur morale comme de leur esthétique. C’est de là que leur vient ce culte de la nature, qui n’est pas, — on le verra tout à l’heure, — une simple jouissance de poète et de lettré, mais un article de foi. Croire en la nature, c’est croire en le divin. Se tremper en elle, c’est se fortifier pour la vie. « Ne cherchez pas le salut dans le changement du gouvernement, mais apprenez à aimer la nature. » Voilà, à coup sûr, une politique de poète et de mystique. Comment s’étonner qu’ils aient fini par renier la Révolution? Ils n’avaient eu horreur ni du comité de salut public ni de la justice du peuple; mais ils ne réussirent pas à croire en une révolution antireligieuse. Du jour où elle se fit athée, ils se mirent à douter d’elle. Elle leur avait paru tout idéale et presque miraculeuse. Ils s’aperçurent qu’elle n’était que trop humaine et que la statue avait des pieds d’argile. En attaquant la Suisse et en se faisant conquérante, elle leur parut fratricide et choqua leur raison. Mais en devenant impie et en quittant Rousseau pour Diderot, elle leur sembla monstrueuse et choqua leur foi : « O France adultère et aveugle qui te railles du ciel! » s’écriait Coleridge en 1798. Vers la même époque, il écrivait dans son journal : « Donner au peuple, aux ignorans, un pouvoir quelconque, si atténué et si faible soit-il, dans le gouvernement de l’État, c’est bien certainement s’écarter de la règle du plus grossier sens commun et de l’expérience la plus vulgaire. » On voit que l’idée démocratique n’avait jamais jeté de racines bien profondes dans cet esprit, et l’on en dirait autant de Southey ou de Wordsworth. Mais il leur resta, à défaut d’une théorie politique, un sentiment qui devait renouveler la poésie anglaise, la philanthropie, ou — si ce mot semble trop étroit et trop peu juste, — une idée toute religieuse de leur mission sociale : — Et ce fut le premier élément de leur mysticisme poétique.


II.

Du même coup, l’imagination de Coleridge, dégoûtée du monde réel, se réfugia avec persistance dans le surnaturel. La réaction