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qu’il aimait à travers Schiller. En réalité, ce fut Lessing qui lui révéla l’Allemagne, parce qu’il était, comme lui, théologien en même temps que poète. C’est la patrie de Lessing, une nation profondément philosophique, rêveuse et aussi peu « jacobine » que possible, qu’il désirait connaître. L’occasion s’en trouva bientôt : des patrons généreux lui offrirent de payer les frais de son voyage. En septembre 1798, il partit avec Wordsworth. Son séjour dura dix mois; il en profita, non-seulement pour apprendre l’allemand à fond, et pour observer très soigneusement les choses et les gens, mais encore pour se bourrer de littérature, de philosophie et de science. A Gœttingue, où il alla étudier, il n’apprit pas seulement l’histoire de la littérature allemande, mais encore la philologie, la zoologie, la théologie critique : est-ce qu’il n’y a pas, au fond de tout romantique, un « encyclopédiste » qui sommeille ? Il découvrit Kant, alors presque inconnu en Angleterre. Surtout il dut beaucoup à Lessing : ce « formidable incroyant, » comme il dit, lui ouvrait tout un monde qu’il ne soupçonnait pas, le monde de l’esthétique. Si Coleridge a eu, dans la littérature anglaise, une action réelle et durable, c’est par son esthétique, et cette esthétique lui venait en grande partie d’Allemagne. Non-seulement c’est dans les écrivains allemands, dans Kant, dans Schlegel, dans Jean-Paul, qu’il a pris une haute idée de cet ordre d’études ; mais c’est d’eux encore que lui vient, — je ne dirai pas sa méthode, puisque son caractère essentiel est de n’en pas avoir, — mais l’esprit dans lequel il a conçu la critique des œuvres d’art. Seulement, ici encore, et jusque dans ses emprunts, sa nature a pris le dessus. Toutes les idées qu’il doit aux Allemands, et dont quelques-unes étaient assez nuageuses déjà, il les a noyées dans je ne sais quel brouillard de la pensée. Suivant la remarque de Hazlitt, il semble, quand on le lit, qu’on voie des mouches danser dans le soleil couchant. Il a été plus Allemand que les Allemands eux-mêmes, et quand il revint en Angleterre, au mois de juin 1798, il rapportait cette chose unique, presque indéfinissable et plus curieuse que belle, qu’on pourrait nommer, — si les mots ne juraient, — le mysticisme critique.


III.

En Angleterre, comme en Allemagne et en France, — bien qu’avec moins de rigueur, — l’école classique avait eu pour caractères essentiels, tout d’abord qu’elle se proposait pour objet l’étude de l’homme dans les manifestations les plus générales de son esprit et de sa sensibilité ; ensuite, qu’elle divisait cette étude suivant un ordre logique; enfin, qu’elle en tirait des conclusions