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ni d’assemblées de notables. Mahmoud a mis dans les mains de ses successeurs un levier dont ils se serviront dès qu’on leur laissera un peu de répit. Il est incontestable qu’à l’heure actuelle le Sultan est mieux obéi d’un bout à l’autre de l’empire qu’il ne l’a jamais été. Toutes les résistances provinciales sont tombées. Les cadres administratifs ont été refondus sur un type uniforme. Il n’y a plus de prétoriens. Aucune secte audacieuse ne barre le chemin de La Mecque. Le corps des Ulémas ne forme plus un état dans l’état, et s’il s’avisait de critiquer quelques mesures bienfaisantes, ses protestations attardées ne trouveraient point d’écho. Enfin, les affaires extérieures de l’empire n’ont jamais été conduites d’une main plus sûre et plus prudente : l’hôte de Yildiz Kiosk veut être son propre ministre. Du fond de sa retraite, il voit tout, il sait tout. Le Sultan travaille comme le dernier de ses sujets : grande innovation dont il est impossible de calculer la portée. Former des fonctionnaires, restituer les biens vacoufs à leur véritable destination, réparer les routes, faire rentrer les impôts, enrôler les chrétiens pour épargner le sang musulman, c’est peut-être une entreprise difficile : ce n’est pas plus impossible qu’il ne le tut jadis de vaincre les pachas rebelles et de restaurer l’armée.


IV.

Puisque le Bosphore n’est point une frontière, nous sommes bien forcés de dépasser l’horizon limité des Balkans et de jeter un coup d’œil sur le vieux monde. Mesurons donc le chemin parcouru depuis le moyen âge.

L’Europe reprend et dépasse toutes les positions abandonnées jadis. Elle fait presque le tour de la Méditerranée. Elle s’est frayée de nouvelles routes vers l’extrême Orient. Elle absorbe tout le nord et presque tout le midi de l’ancien continent. Les situations sont renversées : l’Asie, qui débordait sur nous au XVe siècle, se trouve aujourd’hui débordée de tous les côtés. Que nous réserve l’avenir ? L’Europe doit-elle reconquérir définitivement son antique berceau ? La réponse diffère suivant que l’on entend le mot de conquête au sens philosophique ou bien au sens positif et matériel. Je causerai d’abord avec le philosophe.

Dans l’œuvre de l’Europe, nous faisons aisément deux parts : celle de la politique et celle de la civilisation. Nous disons couramment qu’au siècle dernier, la politique de la France fut détestable, mais que, dans le domaine des lettres, des arts et des sciences, elle ne cessa pas d’occuper le premier rang. On nous enseigne