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certes pas en nombre à celle qui peuplait à ce moment même les palais et les villas des Médicis. Mais la plupart d’entre eux étaient étrangers par leur naissance à la Lombardie. François Philelphe, le fameux professeur de grec, avait vu le jour à Tolentino, Ermolao Barbaro à Venise, les Simonetta dans la Calabre, Jacopo Antiquario à Pérouse, Bernardo Bellincione à Florence, Luca Pacioli à Borgo-San Sepolcro ; Constantin Lascaris et Demetrius Chalcondylas venaient du fond de la Grèce. Seuls, le poète Gaspard Visconti, les chroniqueurs Calco et Corio et le philologue Giorgio Merula avaient pour patrie le Milanais. L’énoncé de ces noms suffit d’ailleurs à établir leur obscurité relative. En dehors de Philelphe, qui mourut presque au début de la régence du More, et d’Ermolao Barbaro, qui ne fréquenta sa cour qu’en qualité d’ambassadeur de Venise, nous n’avons affaire qu’à des esprits laborieux plutôt que brillans, principalement des philologues et des chroniqueurs. Quel parallèle écrasant pour eux que le cénacle médicéen, avec les Politien, les Cristoforo Landini, les Marsile Ficin, les Pulci, les Pic de La Mirandole, les Jean Lascaris, et tant d’autres poètes ou savans illustres ! Tous les efforts du More, sa sollicitude pour l’enrichissement de la bibliothèque de Pavie, dont le hasard des guerres a fait une des gloires de notre Bibliothèque nationale, ses encouragemens à l’industrie naissante de l’imprimerie, n’y purent rien : il manquait au duché de Milan un entraînement suffisant et à son souverain la supériorité du goût, peut-être aussi les saintes ardeurs, qui contribuèrent, autant que la magnificence, à rendre si féconde l’œuvre des Médicis.

Je le répète : vis-à-vis des philosophes, des poètes, des historiens, des érudits, Ludovic hésite et tâtonne. Vis-à-vis des artistes, au contraire, rien n’égale la sûreté de son coup d’œil. D’innombrables documens, que j’ai essayé de grouper dans mon travail sur la Renaissance en Italie et en France à l’époque de Charles VIII, nous montrent avec quelle sollicitude et quelle vigilance il dirigeait les efforts de l’armée d’architectes, de sculpteurs, de peintres, d’orfèvres, d’artistes et d’artisans de toute sorte rangée sous ses ordres. Il leur trace le programme de leurs compositions, en surveille la traduction, corrige, presse, gronde, avec une vivacité qui témoigne à la fois du plus ardent amour pour la gloire et du goût le plus éclairé. Ce prince, si flottant dans sa politique, fait preuve dans ses grandes fondations artistiques d’une netteté de vues admirable. Il était, — je n’ai pas besoin de l’ajouter, — un champion déclaré du style classique ; il le prouva en toute circonstance, tantôt en faisant la chasse aux statues antiques, tantôt en commandant de l’orfèvrerie, al modo antico, tantôt en faisant élever, pour recevoir