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l’empereur Maximilien, un arc de triomphe, al rito romano. C’est également en vrai représentant de la tradition antique que Ludovic voulait partout de l’air, de la lumière, de vastes places, à Milan aussi bien qu’à Pavie et à Vigevano. Le choix des architectes qu’il attira de près et de loin achève de témoigner de sa sympathie pour les novateurs, je veux dire pour ceux qui battaient en brèche les traditions depuis longtemps surannées du style gothique. De Florence, il fit venir Giuliano da San-Gallo, fondateur d’une dynastie de maîtres éminens dans l’art de bâtir; de Sienne, Francesco di Giorgio Martini, à la fois célèbre comme architecte et comme ingénieur militaire; de Mantoue, Luca Fancelli, l’architecte et le sculpteur en titre des Gonzague. La seule exception à cette règle, l’invitation adressée en 1483 au maître d’œuvre de la cathédrale de Strasbourg, Jean Niesemberg ou Nexemperger, se justifiait d’elle-même : il s’agissait de doter d’une coupole gothique la cathédrale gothique de Milan.

L’embellissement de sa capitale réclamait tout d’abord la sollicitude du More: de ce chef, il avait fort à faire, car alors comme aujourd’hui, Milan ne payait guère de mine. Malgré le nombre et la richesse de ses habitans (en 1492, on y comptait 18,300 maisons, soit à raison d’une moyenne de sept habitans par maison, une population totale de 128,100 âmes), vingt autres villes, Venise, Florence, Gênes, Sienne, Rome, ]NapIes, offraient une physionomie autrement pittoresque, plus d’unité dans leur décoration, plus d’ensembles faits pour frapper. L’absence d’un fleuve, la rareté des accidens de terrain, les altérations innombrables produites par les révolutions, telles sont les causes de cette infériorité, qu’il ne fut pas au pouvoir même d’un Ludovic le More de faire disparaître ; en effet, les monumens qui perpétuent son souvenir sont plutôt intéressans qu’imposans et grandioses : on eût dit que la Renaissance à ses débuts n’osait s’attaquer qu’à des tâches faciles à réaliser en un petit nombre d’années, comme si elle avait craint de vivre trop peu : citons l’église Saint-Celse, le baptistère de Saint-Satyre, le cloître de Saint-Ambroise, construit aux frais du cardinal Ascanio, le gigantesque lazaret, et surtout la partie centrale de Sainte-Marie des Grâces avec son incomparable coupole.

Les jouissances du luxe, l’organisation de fêtes de toute sorte, tournois, bals, comédies, les divertissemens plus ou moins spirituels, je devrais dire frivoles, tenaient dans l’esprit du Mécène milanais autant de place ou peu s’en faut que le culte de la poésie ou de l’art; léguer à la postérité quelque chef-d’œuvre, rien de plus enviable assurément, mais en attendant il fallait aussi charmer les contemporains, et ce n’est point par des œuvres transcendantes.