Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tâches faites pour éblouir les plus ambitieux : sous cette impulsion ardente, le statuaire, l’architecte, l’ingénieur, l’homme de science et le philosophe se manifestent avec non moins d’éclat que le peintre. A la Cène fait pendant la statue équestre de François Sforza, aux traités des perspectives, d’anatomie, de mécanique, la continuation du canal de la Martesana, c’est-à-dire quelques-unes des entreprises les plus grandioses qui aient jamais tenté un chercheur. Voyez au contraire comme l’esprit de Léonard se resserre, à peine son protecteur disparu ! Une fois de retour à Florence, il n’y a plus de place en lui que pour le peintre.


III.

Quelles que fussent les idées que le commerce d’un amateur aussi raffiné que Ludovic le More pouvait inspirer à Léonard, il n’était au pouvoir d’aucun Mécène de modifier le style d’un artiste de cette valeur : seuls la vue d’un pays nouveau, les enseignemens indirects et latens, l’air ambiant, devaient réussir à amener une évolution. Il est temps d’aborder ce problème, et après avoir dépeint le milieu social dans lequel le Vinci était appelé à se produire, d’étudier les conditions spéciales de l’art dans le Milanais, de rechercher si parmi ses nouveaux concitoyens l’un ou l’autre avait le droit, vis-à-vis d’un tel maître, de prétendre au rôle d’initiateur.

L’histoire de l’école milanaise pendant la seconde moitié du XVe siècle est encore à faire. Essayons, faute d’un travail approfondi et définitif, de mettre du moins en lumière quelques traits essentiels. Bien différente de la Toscane, qui pendant plus de deux siècles servit de pépinière à tout le reste de la Péninsule, la Lombardie avait constamment été obligée de recourir à des maîtres étrangers : au XIIIe et au XIVe siècle, elle avait appelé Giotto, Jean de Pise et Balduccio de Pise, le sculpteur du fameux retable de Saint-Pierre-Martyr; au XVe siècle, Brunellesco, Masolino, Fra Filippo Lippi, Paolo Uccello, puis l’architecte Michelozzo, le plus distingué des élèves de Brunellesco, et ses confrères Benedetto de Florence, et Filarète. Plus encore que ces maîtres, Donatello, qui avait établi à Padoue comme un poste avancé de la Toscane, avait étendu au loin son influence. En thèse générale, on peut, affirmer qu’à l’époque de la première renaissance, absolument comme au temps de Giotto, toutes les réformes et tous les progrès accomplis dans le Milanais avaient pourpoint de départ Florence. Du temps même de Léonard, des architectes de la valeur de Giuliano da San-Gallo, de Luca Fancelli, de Francesco di Giorgio