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Martini, venaient à tout instant affermir le prestige de l’école toscane. Seul, Bramante avait des origines différentes : mais eût-il triomphé si rapidement dans le Milanais si les Florentins n’y avaient pas préparé le terrain? Élevé à Urbin, disciple du fameux architecte dalmate Luciano da Laurana, Bramante tempérait par je ne sais quelle suavité, quelle morbidesse, la rigueur du style florentin. C’est par ce prince des architectes modernes, le favori de Ludovic le More et de Jules II, le parent et le protecteur de Raphaël, et le seul artiste qui, en ce temps et en ce pays, pouvait se mesurer avec Léonard, que je commencerai cette revue.

Bramante avait précédé Léonard à Milan : on l’y trouve dès 1474, peut-être même dès 1472; de même que Léonard, il ne quitta ce séjour enchanteur que dans les dernières années du siècle, à la veille de la catastrophe qui dispersa pour toujours la brillante cour réunie autour du More. On ignore quels furent les rapports de ces deux grands artistes. Léonard, dans ses écrits, prononce deux fois seulement le nom de Bramante et encore sans l’accompagner d’aucun commentaire. Mais nul doute que leurs occupations ne les aient mis sans cesse en contact et que, s’ils n’ont pas subi l’un l’influence de l’autre, ils ne se soient du moins appréciés, comme il convenait à des génies aussi transcendans.

Bramante est l’architecte par excellence de la brique, de la terre cuite, en d’autres termes de l’architecture fouillée, accidentée et pittoresque. Se trouve-t-il en présence du marbre ou du travertin, il ne songe plus qu’à la pureté des lignes et sacrifie l’ornementation : nous en avons pour preuves ses constructions de Rome, le palais de la Chancellerie, le palais Giraud, les loges du Vatican, la basilique de Saint-Pierre. Ce sont les modèles les plus achevés du style classique. Mais combien je préfère ces monumens si vivans et si amusans de la Lombardie, où il a sans cesse associé la sculpture à l’architecture, animant et disciplinant tour à tour l’une par l’autre!

Telle est, à Milan, l’église San-Satiro, toute mignonne, mais si harmonieuse, avec sa nef voûtée en berceau, son abside à caissons, agrandie par un effet de perspective des plus curieux, son baptistère octogonal d’une richesse éblouissante. On a contesté à Bramante la construction d’une autre merveille, la coupole de Sainte-Marie des Grâces, sous prétexte que le dessin n’a pas assez de pureté : elle offre cependant une élégance souveraine, avec ses rangées de fenêtres si pittoresques que surmonte un étage d’arcades ouvertes. A la légèreté, à la fantaisie qui y règnent, on reconnaît l’artiste qui se joue de toutes les difficultés.