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de leurs revenus. Quel scandale ! En vain répliquait-on que la cessation du travail est un fait toujours regrettable, que la société tout entière en souffre, qu’il ne faut y recourir qu’à la dernière extrémité ; ces idées avaient fait leur temps, le moment était venu de suivre une ligne de conduite absolument opposée. Nous serons l’aggressive party, s’écriaient-ils. L’unionisme actuel n’est qu’un cadavre, nous voulons le ressusciter. Plus d’argent gaspillé en secours et en pensions, nous réserverons pour le bon combat toutes les forces vives dont nous pourrons disposer ; la limitation obligatoire des heures, l’interdiction du travail supplémentaire qui n’a d’autre effet que de maintenir les salaires à un niveau ridicule, voilà notre programme. Nous entendons relever la valeur du bras humain ; les patrons sont trop riches et d’ailleurs trop loin de nous pour songer sérieusement à nous venir en aide. Seules, notre volonté et notre énergie triompheront de tous les obstacles.

Telle est l’attitude que les fédérations de la dernière heure ont adoptée au congrès de septembre, à la voix des chefs dont elles reconnaissent la direction. Le plus populaire parmi ceux-ci, le plus en vue est assurément M. John Burns. C’est un jeune homme ; il est né en 1858, et son enfance s’est écoulée dans une fabrique de Vauxhall où il gagnait péniblement sa vie ; mais ses goûts l’entraînaient ailleurs. À vingt et un ans, il terminait à Millbank son apprentissage de mécanicien et dès lors il s’applique à combler les lacunes de l’instruction élémentaire qu’il a reçue. Dévoré du désir d’apprendre, il consacre ses nuits à l’étude, acquiert les connaissances les plus variées, peut-être sans réussir aussi aisément à en dégager la portée et l’utilité. On raconte qu’un ouvrier français, réfugié de la Commune qu’il avait rencontré à l’atelier, fut le premier à lui parler de socialisme. Plus tard, M. Burns quitte l’Angleterre, l’Afrique occidentale l’attire, et il passe douze mois sur le Niger en qualité de chef mécanicien. Sobre, économe, avisé, il emploie l’argent qu’il a épargné à parcourir les principaux pays du continent, où il se livre à une enquête personnelle sur l’avenir des classes laborieuses et les conditions du travail. Il rentre enfin dans sa patrie, et on le voit figurer dans la plupart des meetings ouvriers où son éloquence enflammée le désigne à l’attention générale. En 1885, il pose à Nottingham sa candidature au parlement, mais il n’obtient que 600 voix, et il recommence, avec plus d’ardeur que jamais, à se mêler aux groupes avancés de la capitale. Nous le retrouvons, en 1886, au premier rang des agitateurs qui envahissent le West end. L’année suivante, lors de l’échauffourée de Trafalgar square, il est condamné pour résistance à la police à six semaines