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et l’une et l’autre éclatent ensemble dans l’admirable péroraison : Implorons à genoux le Seigneur qui nous aime, cantique enthousiaste que les harpes réveillées de Sion portent sur leurs ailes. Même lyrisme dans l’anathème que dans la prière, témoin la superbe invective de Samson contre le satrape Abimélech. Il y a là des gammes sifflantes qui soulèvent la voix du héros, et lancent l’insulte comme avec une fronde. Aussi bien, tous les personnages ont ici des proportions grandioses, et le grand-prêtre de Dagon est à la hauteur de son ennemi. Il chante, à la honte des Juifs et de leur Dieu, un air que Bach et Haendel auraient écrit. Voilà les maîtres auxquels dans Samson, comme dans le Déluge et la Lyre et la Harpe, deux belles œuvres encore, M. Saint-Saëns fait le plus souvent penser. Il a leur solidité, leur carrure, leur santé musicale avec leur souffle égal et fort. Il a même parfois leur sévérité, qu’on peut trouver un peu didactique pour la scène, ou plutôt pour la salle. S’il fallait (on dit qu’il le faut toujours par crainte des dieux jaloux), s’il fallait mettre une sourdine à l’éloge, ce serait celle-là. La moyenne des auditeurs (je parle en leur nom seulement) reprochera peut-être à cet opéra certaines allures d’oratorio, un peu trop de chœurs hébreux au premier acte, un peu trop de style fugué. Mais ce style est si pur, si ferme! Un souffle tellement biblique anime tous ces psaumes de colère et de douleur, tous y compris le premier, chanté derrière la toile et qui se déroule au loin, triste et monotone comme les eaux du fleuve étranger! Quand le public daignera-t-il arriver exactement au théâtre et faire à une introduction comme celle-ci l’honneur de sa présence et de son attention ?

La grandeur, toujours et partout la grandeur. Grand dans la prière et le courroux au premier acte, au second, Samson ne le sera pas moins dans la passion et la faute ; au troisième, dans le repentir. Prisonnier, aveugle, attelé à la meule infâme, humilié dans son cœur et dans ce corps même qui a fait sa gloire et sa honte; insulté par celle qui l’a livré, par le grand-prêtre et par la populace, sourd aux outrages et sans détourner de son crime le regard intérieur de son âme, il trouvera pour confesser son péché, pour le détester devant l’Éternel qui l’a puni, de sublimes accens de contrition, et son cantique de pénitence égalera, s’il ne les dépasse, ses hymnes de victoire et d’orgueil.

Plus belle et plus tragique encore est la figure de Dalila. Non-seulement la sensualité, mais la fierté même et la noblesse, toutes les forces et toutes les grâces, la puissance avec le charme de l’amour sincère, elle a tout volé, tout prostitué au service de ses traîtresses amours. Héroïne de perfidie et de crime, c’est une héroïne encore. Prenez dans la partie amoureuse du rôle les deux pages capitales : le grand air du premier acte et le grand duo du second, vous n’y trouverez pas une défaillance; rien de faible ou de mesquin, nulle trace de mièvrerie ou de fadeur. On n’enchaîne pas les lions avec des fleurs. Aussi dans la