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écrivait à Foucquet : « Je vous prie de considérer qu’il est impossible que tout ne se renverse s’il y a la moindre faute au paiement ponctuel de ce que vous êtes convenu de donner chaque mois. »

Foucquet était aux abois : « Je n’ai point encore vu, disait-il, les finances en si mauvais état, tout le monde voulant de l’argent el s’opposant à ce qui en peut produire. » Le désordre était partout ; à Toulouse, le parlement s’opposait à la recette des deniers royaux ; pour se faire donner une pension sur les gabelles, le duc de Vendôme menaçait d’encourager la contrebande du sel, le faux saunage ; les anoblis de fraîche date protestaient contre la taxe qui leur était infligée ; en Normandie, en Berry, en Sologne, les paysans, écrasés d’impôts, se mettaient en insurrection. Heureusement survint la bataille des Dunes ; grâce à l’épée de Turenne, ce fut le salut. Le jour même où la nouvelle de cette grande et décisive victoire lui fut annoncée, Foucquet, à bout de forces, tomba gravement malade ; il fut à deux doigts de la mort, et « s’il fût mort, écrivait à Mazarin l’un de ses affidés, il laissoit sa maison et tous ses amis dans une pauvreté ridicule. Je vous en ferai le détail quand j’aurai l’honneur d’être auprès de Votre Éminence. Jamais il ne s’est vu une pareille consternation à celle de sa maison et de ses amis. Il a tenu une contenance d’honnête homme et témoigné, quand il y a eu du danger, que rien ne lui faisoit peine que ses amis qu’il avoit abymés. » Daté du 30 juin 1658, ce témoignage d’un confident de Mazarin mérite d’être particulièrement noté.

Quinze jours plus tard, Foucquet, convalescent, écrivait au cardinal : « Il faut que Votre Éminence sache que les troubles qui ont été partout ont empêché les gens d’affaires de recevoir leur argent. Ma maladie a fait faire des réflexions d’une ruine certaine à la plupart qui sont dans de grands engagemens et se croyoient perdus dans un changement… Je ne puis pas m’empêcher de dire à Votre Éminence, ajoutait-il, que je n’ai pas assez l’honneur d’être connu d’elle, puisqu’elle a pensé que le péril où ma famille m’avoit vu m’auroit fait prendre la résolution, toute autre considération cessante, de m’appliquer à me dégager, à retirer ce qui m’est dû. Si je l’avois fait, peut-être seroit-ce une action légitime et qui ne seroit pas désapprouvée de tout le monde, particulièrement en ce que ceux à qui je dois peuvent être pressés. Il ne seroit pas juste de les laisser périr dans un mauvais temps pour m’avoir assisté ; mais, tout au contraire, plutôt que de laisser les choses dans le mauvais état où la conjoncture des affaires présentes les avoit réduites, je me suis engagé, depuis ma maladie, de 400,000 livres de plus que je ne devois auparavant, et en cela j’ai fait une chose peut-être imprudente, mais du moins qui me satisfait à présent l’esprit et est conforme à mon honneur. »