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des peuples européens se joueront en Afrique. Là sonnent déjà les dés de fer du Destin, comme disait celui qui ne les secoue plus.

Le voyage retentissant de M. Stanley a été l’une des causes, la plus apparente au moins, de cette obsession générale. Le public européen s’est passionné pour ce roman d’aventures, doublé d’un roman politique et agrémenté d’un énorme vaudeville. Si l’on peut aujourd’hui parler de l’Afrique avec l’espoir d’intéresser tout le monde, si l’on peut épargner les développemens géographiques à des lecteurs familiers avec la carte, c’est à M. Stanley qu’on le doit ; et si les compétitions des cabinets sont devenues plus vives, si elles ont abouti aux récens partages, c’est que les copartageans avaient pris l’éveil en apprenant les négociations énigmatiques du grand courtier en provinces. Tandis que nous lisions le livre de l’Hérodote américain, les journaux enregistraient chaque matin un procès-verbal de délimitation, un départ d’explorateur, un projet de colonisation ou de chemin de fer. Projets sérieux : ceux qui nous concernent vont être soumis aux délibérations de ce qu’on appelle par euphémisme « les pouvoirs publics ; » comme s’il y avait dans notre pays un autre pouvoir public que la poussée irrésistible d’une idée, vraie ou fausse, lorsqu’elle est mûre et qu’elle a séduit les masses. Le problème africain est posé devant nous, avec ses données infiniment complexes ; nous ne pouvons plus y échapper. De graves décisions vont engager l’avenir de la France ; car on engage aussi l’avenir par des décisions négatives ; l’affaire d’Égypte, hélas ! l’a trop montré.

J’ai dû élargir le cadre de ce travail, pour y faire entrer le résumé des faits acquis et des opinions probables, l’examen des positions prises par nos rivaux et de celles que nous avons le droit de retenir, la recherche de ce qui est le plus convenable à nos intérêts dans les efforts qu’on demande à notre patriotisme. À la veille d’un déplacement de l’axe du monde, on répondrait mal à l’attente du lecteur en ne lui faisant voir que M. Stanley dans toute l’étendue de l’Afrique. Arrêtons-nous un instant devant la statue qui se dressera quelque jour dans un square de Léopoldville : nous regarderons ensuite au-delà.


I.

« Dès mon arrivée au Caire, je cherchai une maison retirée pour y écrire le récit de mes aventures pendant les trois dernières années, Dans les ténèbres de l’Afrique… Semblable à Elihou, j’étais