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seulement l’héritier de la couronne royale de Prusse : il était l’héritier d’un électorat de l’empire. La cour impériale, il est vrai, ne se pressait pas d’agir. A la fin d’octobre seulement, elle faisait demander au roi s’il lui serait agréable qu’elle s’entremît entre lui et son fils, mais elle ne pouvait pas, et Frédéric-Guillaume le savait bien, se désintéresser du sort « d’un membre si éminent de l’empire. »

Toutes ces considérations extérieures, s’ajoutant aux scrupules de sa conscience, prémunissaient Frédéric-Guillaume contre les résolutions extrêmes. Il ne faut d’ailleurs pas juger de ses intentions vraies par ses propos : les violens se soulagent par des paroles violentes. Je n’oserais pas dire qu’il ne souhaitait pas, par moment, que son fils mourût dans sa prison, mais il était incapable de l’y faire empoisonner ou étrangler. Restait à procéder contre lui par voie de justice. Mais devant quel tribunal ? La qualité de membre de l’empire suivrait l’accusé et compliquerait le procès. Le roi pouvait-il espérer d’ailleurs qu’un tribunal prussien condamnerait à mort le prince royal de Prusse ? Il me semble qu’il a vu, après les premières fureurs, l’impossibilité d’une condamnation capitale et d’une exécution.

L’idée à laquelle il s’est arrêté le plus longtemps, c’est de déposséder son fils de la couronne. Il le traite comme un déshérité. Il a donné le régiment de Frédéric à Guillaume. Il appelle son fils aîné, non plus le Kronprinz, mais « le fils du roi de Prusse, Frédéric, » ou « le prince Frédéric. » Mais alors pourquoi n’a-t-il pas accepté la proposition que Frédéric a faite à la commission, la seconde fois qu’il a été entendu par elle, de renoncer à ses droits ? Pourquoi s’est-il contenté de répondre qu’il ne voulait pas le reprendre comme officier dans son armée ? Sans doute, parce qu’il ne croit pas à la sincérité du prince, et parce qu’il redoute les troubles qui bouleverseraient l’État après sa mort. Il sentait bien que Frédéric n’abdiquerait pas son titre d’héritier sans restriction mentale, et que le cadet, Guillaume, aurait affaire à forte partie. Un pareil acte, d’ailleurs, n’eût été valable qu’après la confirmation solennelle qu’il aurait fallu demander à l’empire. C’était une procédure à suivre, très lente. C’était soumettre, sous les yeux de l’Europe, cette histoire de famille au jugement des princes et de l’empereur. Qui sait ce qui adviendrait ? Les malveillans ne manquaient pas parmi ces princes, et Frédéric-Guillaume voyait bien que c’était lui qui serait jugé.

Au vrai, il n’y avait qu’une solution, la mort, et cette solution était impossible. Que faire donc ? Car il fallait bien faire quelque chose.

Dès le premier jour, Frédéric-Guillaume avait qualifié de