Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut ajouter l’espoir de remuer jusqu’au fond l’âme de Frédéric. Le roi s’est représenté le coup de théâtre du prêtre entrant dans ! a cellule, avant que le bourreau eût achevé d’essuyer son épée.

Müller obéit de point en point aux ordres du roi. Dans ce premier jour d’entrevue, il remit à Frédéric le testament de Katte, pour aviver encore son émotion, pour « briser » et faire « pleurer » son cœur. Le prince, au milieu des larmes et des sanglots, reconnut que tout ce qu’avait écrit son malheureux ami était vrai. Il protesta hautement que, quant à lui, depuis le commencement, il avait eu un vrai repentir au cœur. Il ajouta, faisant allusion à ses demandes répétées de grâce et de pardon, que le roi n’avait pas dû les connaître, puisqu’il avait fait faire cette exécution sous les yeux d’un fils, qui s’était repenti de son péché et s’était soumis, comme il se soumettait encore, à toute sa volonté.

La nuit fut mauvaise pour le prisonnier. Il n’avait pas mangé de toute la journée, et il était très faible. Les trois personnes, qui se relevèrent auprès de son lit, l’entendirent délirer. En s’éveillant, il dit : « Le roi s’imagine qu’il m’a pris Katte ; mais je le vois toujours devant mes yeux. » Il reçut le médecin, auquel il déclara qu’il était bien portant ; il lui demanda pourtant de lui prescrire une poudre qu’il avait coutume de prendre ; déjà il se réconciliait avec la vie. Au pasteur, il témoigna un repentir plus vil encore que la veille. Son péché, dit-il, lui apparaissait encore plus grand. Il regrettait l’effronterie qu’il avait montrée au cours de son interrogatoire devant la commission. Si seulement, dès le début, un homme lui avait parlé avec sensibilité, sans dures menaces, son esprit ne serait pas allé aux extrémités qu’il regrette à présent ! Il remerciait Dieu et son père de l’humiliation qu’ils lui avaient infligée, et se soumettait à la volonté royale et paternelle de sa majesté.

Frédéric, à qui Müller avait dû, dès la veille, reprocher son hérésie, mit de lui-même le discours sur la grâce et la fatalité. Il exposa sa doctrine et provoqua son interlocuteur à la contredire. Müller cite ce passage de saint Pierre : « Le Seigneur Jésus a racheté ceux qui étaient effectivement damnés. » Le prince se montre surpris : il n’avait jamais vu, dit-il, ce passage de l’Écriture, qui lui paraissait prouver, en effet, que l’intention de Dieu est de sauver même les plus méchans des hommes. Müller invoque en outre des témoignages de saint Paul, non moins concluans. Le prince essaie de se défendre par des comparaisons : « L’arrangement des rouages d’une montre ne détermine-t-il pas le mouvement des roues ? » — « Sans doute, répond le pasteur, mais ces roues n’ont pas une volonté pour résister. » — « La force du feu contre le bois n’est-elle pas nécessairement d’une seule sorte et d’un effet unique ? » — « Oui ; mais, si l’on trempe auparavant dans