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Il occupait la province équatoriale avec 4,000 hommes, Égyptiens ou Soudanais. Après l’investissement de Khartoum, en 1884, le pacha fut coupé de ses communications ; il se trouva prisonnier dans son gouvernement, entre les mahdistes qui le menaçaient au nord, les populations hostiles de l’Ouganda qui lui barraient la route au sud. Il fit connaître à plusieurs reprises sa situation, demandant qu’on vînt lui donner la main, le ravitailler d’hommes et de munitions. Un comité de secours se forma en Angleterre, sous la présidence de sir William Mackinnon. — Ici, j’ouvre une parenthèse. Sir William préside, d’autre part, la Société coloniale anglaise de l’Est africain. Les dépêches échangées dès 1885 entre lord Granville et le prince de Bismarck nous apprennent que cette Société « a le dessein de créer un établissement britannique dans la région située entre la côte et les lacs d’où sort le Nil Blanc. » — Les fonds nécessaires à l’expédition de secours furent souscrits pour moitié par le khédive ; M. Stanley consentit à tenter l’aventure ; il reçut de M. Mackinnon des instructions dont la suite des affaires nous permet de deviner la teneur. Ayant choisi six officiers anglais pour encadrer sa troupe, il arriva en février 1887 à Zanzibar, où il engagea six cents porteurs indigènes. De Zanzibar, il écrivit à Emin-Pacha une lettre qui donne fort à réfléchir ; le gouvernement égyptien y est représenté comme l’unique promoteur de la mission ; il n’est pas dit un mot du comité de secours et de l’initiative prise en Angleterre.

Instruit des dangers qu’il rencontrerait sur la route directe, de la côte orientale à l’Équatoria, M. Stanley conçut un plan habile et audacieux. Il résolut de prendre l’Afrique à revers, en partant de l’Atlantique, — c’était le seul moyen d’éviter la désertion en masse de ses Zanzibaris, — et d’arriver jusqu’à Emin par les solitudes inconnues d’où nul ne s’attendrait à le voir déboucher. La petite armée fut transportée par le Cap aux bouches du Congo et débarquée dans cette Afrique belge dont M. Stanley peut se dire à bon droit le créateur. On remonta le fleuve sans trop de peine jusqu’à son confluent avec l’Arruwîmi ; sur cette rivière, les vapeurs qui portaient l’expédition atteignirent Yambouya. C’était le point au-delà duquel commençaient les régions inexplorées. M. Stanley renvoya les bâtimens et prit ses dispositions pour la marche. Une moitié de la troupe fut laissée là en réserve d’arrière-garde, sous le commandement du major Bartelott ; elle était confiée à la sollicitude douteuse de Tippou-Tib. Sachant que le fameux traitant arabe était le véritable maître de cette partie du Congo, M. Stanley avait frappé un coup de politique hardie ; puisque la Belgique n’était pas en mesure de faire à Tippou-Tib le sort qu’il méritait, c’est-à-dire de le faire pendre, il avait nommé Tippou-Tib gouverneur, pour