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directement de la France révolutionnaire, mais de la France de la constituante, avant la centralisation à outrance : c’étaient des girondins. Quant aux chefs des fédéraux, ceux bien entendu de la première moitié du siècle, ils s’étaient improvisés partisans des petites souverainetés sans y chercher malice. C’était un théâtre à souhait pour leurs aptitudes et leurs appétits. Ils font penser aux tyranneaux des républiques italiennes du XVe siècle. Ils n’allaient pas du reste, et pour cause, chercher leurs inspirations si loin. Ils les puisaient dans une tradition plus proche et toute chaude, celle de la tribu indienne ; ils en avaient hérité de première main les instincts de rapine et de cruauté. Ils avaient pour séides tous ceux dont les tendances se ressentaient de cette origine, et ce n’était pas le petit nombre. Aussi, don Domingo F. Sarmiento, qui a consacré un beau livre aux luttes au milieu desquelles s’est forgée par le fer et le feu la nation argentine, les a-t-il caractérisées à l’emporte-pièce, selon son habitude, dans le titre même de l’ouvrage. Il n’a eu garde de l’intituler : « Unitaires et fédéraux, » il l’a appelé : Civilisation et Barbarie[1].

Jusqu’en 1852, c’était bien de cela qu’il s’agissait. Depuis lors, les choses ont changé. La sévérité de cette antithèse serait aujourd’hui injuste jusqu’au ridicule, si on l’appliquait aux chefs éclairés qui ont succédé aux anciens caudillos du parti fédéral. Celui-ci aurait même cessé depuis longtemps d’être un groupe politique, si les unitaires, après la chute de Rosas, n’avaient relégué dans un rigoureux ostracisme jusqu’à la deuxième génération tout ce qui, de près ou de loin, avait eu des attaches avec le dictateur. Celui-là conserva les cadres du parti, qui n’avait plus de fédéral que le nom. Lorsqu’il escalada enfin le pouvoir, il n’avait d’autre idée que d’accomplir avec d’autres hommes le même programme que ses adversaires. Ce qui prouve bien qu’unité et fédération n’avaient rien à voir dans l’affaire, c’est qu’il s’empressa, une fois le maître, de confisquer Buenos-Ayres pour en faire la capitale nationale, ce qui était de la politique unitaire au premier chef. Il est vrai que la province de Buenos-Ayres, en 1852, par haine de ce que l’on appelait alors la politique fédérale, s’était déclarée république indépendante, ce qui était pousser à ses dernières conséquences le principe fédéraliste de l’autonomie des états. Le plus curieux, c’est que ces événemens contradictoires, où chaque parti empruntait à tour de rôle la cocarde du voisin, ont convergé, en somme, vers le même résultat, l’établissement d’une confédération d’états

  1. Voir, dans la Revue du 15 novembre 1810, l’étude sur l’Américanisme, la Société argentine, par M. Charles de Mazade.